Une croissance plus riche en emplois, la réussite française

Sommaire

Comparaison internationale
      Depuis 1973, un enrichissement général de la croissance en emplois
      Après 1980, des évolutions très contrastées de la productivité par tête
Le cas français
      Baisse de la durée du travail et abaissement des cotisations sociales
      Les services et la construction, principaux contributeurs

par Frédéric Lerais.

Depuis quelques années, la France connaît une croissance économique particulièrement riche en emplois. L'ampleur de ce phénomène, à la base de la baisse prononcée du taux de chômage hexagonal, est propre à la France. Il s'explique à la fois par le ralentissement de la productivité du travail constaté depuis trente ans, par la réduction du temps de travail et par les politiques récentes de baisse des cotisations sociales sur les bas salaires. Reste à savoir cependant si cet enrichissement de la croissance en emplois est durable.

L'année 1999 a été marquée par une forte hausse de l'emploi total, encore plus vigoureuse qu'en 1998 (respectivement 410 000 et 340 000 emplois). L'emploi a certes bénéficié d'une croissance favorable. Mais ce qui est remarquable, c'est que le fléchissement de la croissance en 1999 par rapport à 1998 (de 3,2 % à 2,9 % en rythme annuel moyen) ne s'est pas traduit par celui de l'emploi total, aussi bien en glissement annuel (de 1,8 % à 1,9 %) qu'en moyenne annuelle (1,8 % après 1,6 %). Les emplois aidés dans le secteur non marchand (CES - contrats emploi solidarité, emplois-jeunes...) ont eu une contribution positive sur l'emploi de l'ordre de 50 000 en 1999( 1 ), mais l'essentiel de l'accélération provient des secteurs concurrentiels non agricoles, dont les performances suivent habituellement étroitement celles de l'activité économique avec, il est vrai, un léger décalage temporel.

Comparaison internationale

En 1999, la hausse de l'emploi en France dépasse celle de ses principaux partenaires (tableau 1). Malgré une activité économique plus vigoureuse (4,2 %, en rythme annuel moyen), les performances des États-Unis en termes d'emploi restent en deçà (1,5 % en moyenne annuelle). Ailleurs, de moins bons résultats en termes de croissance de la production expliquent des performances d'emploi globalement moins favorables que celles de la France. Ainsi l'emploi augmente plus modérément au Royaume-Uni (1,0 %), encore en lien avec des résultats moins élevés en termes de production (2,1 %). L'Allemagne de l'Ouest, dont l'activité est restée modérée (1,5 %), a enregistré une quasi-stagnation de ses effectifs (0,2 %). Comparativement, l'Italie, avec une croissance identique à celle de l'Allemagne, a bénéficié d'une plus forte hausse de ses effectifs (1,2 %). Au Japon, où la production a stagné, l'emploi a diminué (- 0,8 %).

Tableau 1. Croissance du PIB de l'emploi total et de la productivité par tête des pays partenaires

(taux de croissance annuel moyen en %)

  1965-
1973
1973-
1980
1980-
1990
1990-
1999
1997 1998 1999
États-Unis  
Produit intérieur brut (1) 3,9 2,4 3,2 3,1 4,2 4,3 4,2
Emploi total 2,3 2,2 1,8 1,3 2,2 1,5 1,5
Productivité par tête 1,6 0,1 1,3 1,8 1,9 2,8 2,7
Japon  
Produit intérieur brut (1) 9,5 3,4 4,0 1,3 1,6 -2,5 0,3
Emploi total 1,3 0,7 1,2 0,4 1,1 -0,7 -0,8
Productivité par tête 8,1 2,6 2,7 0,9 0,5 -1,8 1,1
Allemagne  
Produit intérieur brut (1) 4,1 2,1 2,4 1,8 2,6 3,3 1,5
Emploi total -0,1 -0,5 0,3 -0,3 -1,1 0,4 0,2
Productivité par tête 4,2 2,6 2,0 2,1 3,8 2,8 1,3
Italie  
Produit intérieur brut (1) 5,3 3,5 2,2 1,4 1,8 1,5 1,4
Emploi total -0,2 1,1 0,1 -0,3 0,4 1,1 1,2
Productivité par tête 5,5 2,4 2,1 1,6 1,4 0,4 0,2
Royaume-Uni  
Produit intérieur brut (1) 3,2 0,9 2,7 2,0 3,5 2,2 2,1
Emploi total 0,0 0,1 0,7 0,2 1,6 1,2 1,0
Productivité par tête 3,2 0,9 2,0 1,9 1,8 1,0 1,1
France  
Produit intérieur brut (1) 5,2 2,6 2,4 1,6 1,9 3,2 2,9
Emploi total 0,8 0,4 0,3 0,4 0,5 1,6 1,8
Productivité par tête 4,4 2,2 2,1 1,2 1,4 1,6 1,1

(1)À prix constants.

Sur longue période, cette performance de l'emploi est assez exceptionnelle pour la France. En effet, comme dans la plupart des pays européens continentaux, l'emploi y a stagné entre 1973 et 1999 (0,3 % par an). Ces résultats sont très en deçà de ceux des États-Unis et du Japon sur la même période (respectivement 1,7 % en moyenne annuelle et 0,8 %). Il est vrai que depuis 1973, la croissance de la production dans ces deux pays (2,9 % chacun) est beaucoup plus forte qu'en Europe : France, Allemagne, Italie et Royaume-Uni.

Depuis 1973, un enrichissement général de la croissance en emplois

On observe un mouvement assez parallèle entre la croissance de l'activité et celle de l'emploi sur l'ensemble de la période 1970-1999. Ainsi, dans tous les pays, le premier choc pétrolier de 1973 s'est traduit par un freinage très marqué de l'activité économique. Le rythme de croissance a diminué de moitié entre la période 1965-1973 et celle qui va de 1973 à 1980 : la croissance de la production en France est passée de 5,2 % à 2,6 % ; celle des États-Unis de 3,9 % à 2,4 %, celles du Royaume-Uni de 3,2 % à 0,9 %. Après le premier choc pétrolier, ce ralentissement de l'activité économique s'est accompagné de celui de l'emploi dans la plupart des pays : au Japon, la croissance de l'emploi s'est réduite de 1,3 % l'an entre 1965 et 1973 à 0,7 % entre 1976 et 1980. En France, l'emploi a freiné, de 0,8 % par an à 0,4 %. En Allemagne, et au Royaume-Uni, il a continué de stagner. Les États-Unis et l'Italie font exception : les premiers puisqu'ils ont maintenu leur rythme de croissance de l'emploi autour de 2,2 %, la seconde parce qu'elle a bénéficié d'une nette hausse (1,1 %).

Même s'il y a eu un ralentissement de la croissance des effectifs, une grande partie de la décélération de l'activité économique a pourtant été absorbée par une hausse du contenu de la croissance en emplois : le ratio de la production sur le nombre d'emplois (autrement dit la productivité par tête) a progressé à un rythme ralenti. Si l'intensité de la croissance en emplois des années 1973-1980 avait été identique à celle de la période 1965-1973, les pays européens auraient généralement subi une diminution de l'emploi de l'ordre de 2 % par an. Seuls les États-Unis auraient stabilisé leurs effectifs. Les études économétriques confirment bien que le premier choc pétrolier s'est traduit par une hausse du contenu de la croissance en emplois( 2 ), c'est-à-dire qu'il y a eu un ralentissement de la productivité apparente du travail (ratio de la valeur ajoutée sur les effectifs).

Après 1980, des évolutions très contrastées de la productivité par tête

Après 1980, l'Italie, le Japon et, dans une moindre mesure, la France ont subi à nouveau un freinage de l'activité économique : de 2,6 % de croissance annuelle moyenne de 1973 à 1980 à 2,0 % de 1980 à 1999 en France, de 3,5 % à 1,8 % en Italie, de 3,4 % à 2,7 % au Japon. La croissance est restée stable en Allemagne autour de 2,1 %. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, elle a été en moyenne plus élevée qu'entre 1973 et 1980, passant de 2,4 % à 3,1 % pour les premiers, de 0,9 % à 2,4 % pour les seconds.

Les pays dont l'activité économique a été freinée ont enregistré des évolutions de l'emploi contrastées : ralentissement de la croissance de l'emploi en Italie et en Allemagne, stabilité en France et au Japon (respectivement autour de 0,3 % et 0,7 % par an). Dans ce dernier pays, les années quatre-vingt se sont distinguées nettement des années quatre-vingt-dix : la forte hausse des effectifs (1,2 % par an entre 1980 et 1990) a été suivie d'un net ralentissement : 0,4 % entre 1990 et 1999. Quant aux deux pays dont l'activité économique s'est trouvée accélérée, là encore les évolutions de l'emploi ont été contrastées : ainsi, au Royaume-Uni, l'emploi est passé d'une situation de stagnation entre 1970 et 1980 à une hausse de 0,5 % par an entre 1980 et 1999. Aux États-Unis, la croissance des effectifs a ralenti, de 2,2 % à 1,6 % par an.

En définitive, les évolutions de la productivité par tête ont aussi été plus dispersées après 1980( 3 ). Les États-Unis et le Royaume-Uni, dont l'activité a été plus soutenue, ont bénéficié d'une accélération des gains de productivité par tête : pour les premiers, de 0,1 % de 1973 à 1980 à 1,6 % de 1980 à 1999 et de 0,9 % à 1,9 % pour le second. Ailleurs, on a observé un nouveau ralentissement de la productivité du travail. En Allemagne, son rythme a fléchi de 2,6 % de 1973-1980 à 2 % de 1980 à 1999, au Japon de 2,6 % à 1,9 %, en Italie de 2,4 % à 1,9 % et en France de 2,2 % à 1,7 %.

En France, comme au Japon, le fléchissement de la productivité par tête est concentré sur les années quatre-vingt-dix : ainsi, en France la croissance de la productivité du travail passe de 2,1 % sur la période 1980-1990 et à 1,2 % pour 1990-1999 ; et au Japon de 2,7 % à 0,9 %. En Allemagne, la phénomène date des années quatre-vingt : la croissance de l'indicateur passe de 2,6 % entre 1973-1980 à 2,0 % entre 1980-1990 et se stabilise par la suite. En Italie, le ralentissement de la productivité du travail s'est fait par palier régulier : de 2,4 % entre 1973-1990 à 2,1 % entre 1980-1990, et à 1,6 % entre 1990-1999.

Le cas français

Au cours des années quatre-vingt-dix, la France a donc enregistré un nouveau ralentissement de la productivité par tête, ralentissement qui n'est pas partagé par tous les pays. Si on se limite aux seuls secteurs concurrentiels non agricoles (SCNA), son rythme de croissance a nettement reculé après le premier choc pétrolier : de 3,4 % par an entre 1970 et 1973 à 2,3 % entre 1973 et 1990, puis 1,3 % entre 1990 et 1999 (tableau 2). Exprimée en termes de valeur ajoutée par heures travaillées, la croissance de la productivité horaire a, elle aussi, freiné par palier ; de 4,4 % entre 1970 et 1973, à 3,2 % entre 1973-1980, 2,8 % 1980-1990 puis 1,7 % entre 1990 et 1999. Depuis les années quatre-vingt-dix, la croissance est devenue "plus riche en emplois" : aujourd'hui, il faudrait donc une croissance de la production moins forte qu'auparavant pour que l'emploi augmente. Alors qu'il fallait une croissance de 2,3 % dans les années quatre-vingt, il a suffi d'une croissance de 1,3 %, en moyenne, pour créer des emplois dans le secteur concurrentiel non agricole dans les années quatre-vingt-dix.

Tableau 2. De la croissance à l'emploi en France (1)

(en glissement annuel moyen, en pourcentage)

  1970-
1973
1973-
1980
1980-
1990
1990-
1999
1997 1998 1999
Emploi 1,6 0,0 0,2 0,3 1,4 1,8 2,6
PIB 5,1 2,3 2,5 1,7 4,1 2,8 4,0
Productivité par tête 3,4 2,3 2,3 1,3 2,8 0,9 0,4
Durée du travail -1,1 -1,0 -0,5 -0,4 -0,2 -0,1 -0,8
Productivité horaire 4,4 3,2 2,8 1,7 3,0 0,9 1,1

(1)Secteurs concurrentiels non agricoles.

Source : MES-DARES, INSEE.

Sur longue période, le ralentissement de la productivité du travail revêt des interprétations multiples( 4 ). Une des plus courantes met l'accent sur l'épuisement des effets de rattrapage technologique de l'économie américaine : le freinage progressif de la productivité en France pourrait s'expliquer par le rapprochement des conditions de production de l'économie américaine. Une autre explication insiste sur la faiblesse de l'accumulation du capital : le ralentissement de la productivité du travail coïncide aussi avec celui de l'investissement( 5 ). Il pourrait s'expliquer aussi par une spécialisation de l'économie dans les secteurs à faible croissance de la productivité.

Depuis quelques années, il y a un nouvel enrichissement de la croissance en emplois : la productivité est en dessous de sa tendance, même en tenant compte d'un ralentissement tendanciel de longue période de son évolution. Le récent freinage de la productivité semble plus prononcé que dans les périodes antérieures. Des études économétriques montrent ainsi que les simulations usuelles sous-estiment l'emploi depuis 1992-1993( 6 ). L'enrichissement de la croissance en emplois ne s'explique pas uniquement par des facteurs conjoncturels, mais aussi par des facteurs structurels.

Baisse de la durée du travail et abaissement des cotisations sociales

Pour la période récente, une première explication met en avant la baisse de la durée du travail, largement imputable au développement du temps partiel depuis 1992/1993. Entre 1970 et 1999( 7 ), la France a enregistré une baisse de la durée du travail de 0,6 % par an en moyenne. Entre 1973 et 1980, la baisse a été de 1,0 % par an. Ensuite, entre 1980 et 1990, elle a diminué de 0,5 % par an, sous l'effet notamment de la réduction de la durée légale de 40 à 39 heures. Depuis 1990, la durée du travail ne s'est que faiblement réduite (- 0,4 % par an). Elle a diminué sous l'effet du développement de la proportion de salariés à temps partiel, laquelle est passée de 6 % en 1980 à 10 % en 1990, et a atteint près de 15 % en 1999( 8 ). Mais, dans le même temps, la durée du travail des salariés à temps partiel a eu tendance à augmenter. Si la proportion de salariés à temps partiel ainsi que leur durée du travail avaient été maintenues à leur niveau de 1992, la durée moyenne du travail aurait été plus élevée d'un peu plus de 2 % fin 1999, et l'emploi aurait été plus bas d'environ 300 000 salariés (graphique 1).

Une seconde explication souligne l'impact des politiques de baisses des cotisations sociales sur les bas salaires. Ces mesures, mises en place à partir de 1993, visent à enrichir la croissance en emplois peu qualifiés. Le CSERC (Conseil supérieur de l'emploi et des coûts) avait proposé une évaluation ex ante des mesures mises en oeuvre en France et ciblées sur les bas salaires( 9 ). Compte tenu de la fragilité des estimations de l'élasticité de l'emploi au coût du travail, il a proposé une fourchette de créations (ou de préservations) d'emplois de 50 à 70 000 emplois pour une baisse de 10 milliards de francs des cotisations sociales sur les emplois dont le salaire est inférieur à 1,33 SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance). La DARES (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques ; ministère de l'Emploi)( 10 ) a fourni, pour sa part, une évaluation de 60 000 à moyen terme.

Graphique 1. Effectifs en emploi (salariés et non salariés)

Source : MES-DARES, INSEE.

Si l'on tient compte de cet effet poptentiel des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires ( de l'ordre de 40 milliards de francs en 1999) les simulations de l'emploi retracent beaucoup mieux les évolutions observées. Cela suggère donc que les dispositifs d'allégements des cotisations sociales( 11 ) ont pu avoir un impact sur l'emploi global dans les années récentes. Selon ces chiffrages, en l'absence de cette politique, l'emploi aurait été plus bas de 170 000 personnes à la fin 1999 (soit 1,2 %). En d'autres termes, les exonérations de cotisations sociales ont pu avoir une contribution de 0,2 point par an en moyenne depuis 1993 à l'enrichissement de la croissance en emplois. Toutefois, il est probable que les effets des baisse de cotisations sociales sur l'emploi ne transitent pas uniquement par le ralentissement de la productivité du travail, mais aussi par un regain de croissance de la valeur ajoutée dans les secteurs à bas salaire, via la baisse des prix par exemple. Les effets des exonérations sur l'emploi retenus permettent de rendre compte du ralentissement de la productivité par tête. Mais, à ce stade, il s'agit encore d'un simple rapprochement entre les effets attendus des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires et le ralentissement de la productivité du travail ; des travaux complémentaires sont nécessaires, notamment pour préciser le partage des effets de ces mesures sur la productivité, d'une part, et sur la croissance, d'autre part, et confirmer les liens de causalité( 12 ).

Un phénomène durable ?

Pour résumer, le rythme de croissance des effectifs des secteurs concurrentiels non agricoles s'est stabilisé. Pourtant il y a eu un net ralentissement de la production, de 2,4 % à 1,8 %. À rythme de productivité par tête donné (2,3 %), le freinage de l'activité économique aurait dû entraîner mécaniquement une baisse de l'emploi de 0,5 % par an. Les effectifs sont restés sur un rythme stable parce que la productivité par tête a ralenti : de 2,3 % à 1,5 %, soit un écart de 0,7 point : sous l'effet de la baisse de la durée du travail d'environ (- 0,4 %), des mesures d'exonération des cotisations sociales (- 0,2 %) (tableau 3). L'écart résiduel peut s'expliquer par l'effet de retard entre l'activité économique et l'emploi (cycle de productivité).

Tableau 3. Contribution des différentes variables à la croissance de l'emploi des secteurs concurrentiels non agricoles

(en glissement annuel moyen, en pourcentage)

  Emploi Valeur
ajoutée
lissée
Durée Tendance
de la
produc-
tivité
horaire
Dispo-
sitifs
spéci-
fiques
Exoné-
rations
générales
Dyna-
mique
1976-1999 0,2 2,3 0,4 -2,5 0,1 0,1 0,0
1976-1980 0,4 2,8 0,5 -3,2 0,1 0,0 0,2
1981-1985 -0,9 1,5 0,9 -2,8 0,0 0,0 -0,5
1986-1990 1,2 3,4 0,0 -2,4 0,1 0,0 0,1
1980-1999 0,1 2,4 0,5 -2,6 0,0 0,0 -0,2
1991-1995 -0,7 1,0 0,4 -2,2 0,1 0,0 0,0
1996-1999 1,3 2,7 0,3 -2,0 0,1 0,3 -0,1
1980-1989 0,1 2,4 0,5 -2,6 0,0 0,0 -0,2
1990-1999 0,3 1,8 0,4 -2,1 0,1 0,2 0,0
Écart années 1990/années 1980 0,2 -0,6 -0,1 0,5 0,1 0,2 0,1

Lecture : la variation de l'emploi (colonne 1) peut s'expliquer par la somme des différentes contributions des variables explicatives. Ainsi, entre 1996 et 1999, l'emploi a augmenté de 1,3 % par an, la valeur ajoutée à contribué à la hausse pour 2,7 % par an ; la baisse de la durée du travail pour 0,3 % par an ; la tendance de la productivité horaire pour - 2 % par an ; les dispositifs spécifiques pour 0,1 % par an, les mesures d'abattement pour 0,3 % par an ; et la dynamique qui mesure l'effet du cycle de productivité sur l'emploi à - 0,1 %. En moyenne, ici, le résidu est négligeable.

Source : MES-DARES, INSEE.

Les mesures de politique d'abaissement des cotisations sociales, comme celles de réduction de la durée du travail, ont un effet durable sur le niveau de l'emploi, mais transitoire sur son taux de croissance. Ainsi, du fait de la montée en charge de ces programmes et de leurs délais d'action, la croissance nécessaire pour créer des emplois a été réduite à 1,3 % en moyenne entre 1990 et 1999. Des rythmes aussi bas ne pourraient continuer à être atteints que par la mise en oeuvre de nouvelles mesures de baisse de la durée du travail ou de diminution des cotisations sociales sur les bas salaires. En leur absence, le rythme de croissance nécessaire pour accroître l'emploi devrait retrouver son niveau tendanciel de l'ordre de 2 % par an( 13 ).

Les services et la construction, principaux contributeurs

Depuis 1973, les effectifs ont stagné dans les secteurs concurrentiels non agricoles (+ 0,2 % par an) mais ils ont fortement augmenté dans les services (+ 1,4 % par an), tandis qu'ils diminuaient dans la construction et l'industrie (- 1,4 % par an chacun). Même si l'on reclasse l'emploi intérimaire dans les secteurs utilisateurs, et non dans le secteur employeur comme il est fait dans les statistiques de l'emploi, la hausse de l'emploi dans les services reste élevée (1,3 %), la baisse des effectifs est limitée à 1,1 % par an dans la construction et à 1,2 % dans l'industrie (tableau 4 et graphique 2).

Graphique 2. Emploi par secteur

Source : MES-DARES, INSEE.

L'emploi dans les services a néanmoins subi un ralentissement : son rythme de croissance est passé de 1,4 % par an entre 1973 et 1990, à 1,2 % après. Ce mouvement reflète celui de la valeur ajoutée, dont le taux de croissance a diminué de près de moitié. De même, la construction, afectée par une forte contraction de la production, enregistre une dégradation un peu plus accentuée de l'emploi après 1990 (- 1,2 % contre - 1,0 % dans la période antérieure). Dans l'industrie, les pertes d'emplois ont été très régulières entre 1973 et 1999 : le creux sur le rythme de production entre 1980 et 1990 n'a qu'assez peu marqué la croissance des effectifs.

Entre 1973 et 1999, la dynamique de l'emploi reflète en partie celle de la production par secteur. Alors que la production de l'ensemble des secteurs concurrentiels non agricoles a augmenté de 2,2 %, celle du secteur de la construction a stagné, et celle des services a crû de 2,6 % par an. Le rythme de croissance de l'industrie (1,8 %) reste proche de la moyenne.

Les gains de productivité horaire sont plus lents dans les services et dans la construction que dans l'industrie. Entre 1973 et 1999, la productivité horaire augmente de 1,7 % par an dans les services et de 1,6 % dans la construction, à un rythme inférieur à celui de l'ensemble des secteurs (2,5 %). Au contraire, l'industrie affiche des rythmes élevés de croissance de la productivité horaire (3,4 %).

Au-delà de ces différences dans la hiérarchie globale des rythmes de productivité, le ralentissement est aussi très hétérogène : selon les données de la comptabilité nationale, la productivité horaire freine très nettement dans les secteurs des services (à partir de 1991-1992) et dans celui de la construction. Dans les services, son rythme de croissance diminue ainsi de 2,4 % entre 1973 et 1990 à 0,4 % entre 1990 et 1999, alors que la construction enregistre une stagnation surprenante de sa productivité horaire depuis 1990 : 0,3 % par an contre un rythme de 3,0 % entre 1980 et 1990. En revanche, après le choc pétrolier, l'industrie maintient à peu près des gains de productivité horaire, par rapport notamment à 1980-1990, même lorsque l'on reclasse dans ce secteur l'emploi des intérimaires : la croissance de la productivité horaire y passe de 3,4 % entre 1980 et 1990 à 3,1 % entre 1990 et 1999.

Tableau 4. Emploi, durée du travail et productivité

(en glissement annuel moyen, en pourcentage)

  1970-
1973
1973-
1980
1980-
1990
1990-
1999
1997 1998 1999 1973-
1999
Emploi après correction de l'intérim  
Construction 0,5 -1,1 -1,0 -1,2 0,6 1,5 3,5 -1,1
Industrie 1,6 -1,2 -1,3 -1,1 1,7 0,1 1,0 -1,2
Services 1,9 1,4 1,4 1,2 1,4 2,7 3,2 1,3
Ensemble des secteurs  1,6 0,0 0,2 0,3 1,4 1,8 2,6 0,2
Durée du travail  
Construction -1,1 -1,7 -0,6 -0,2 -0,3 -0,2 -0,2 -0,8
Industrie -1,1 -0,7 -0,5 -0,3 -0,3 -0,2 -1,0 -0,5
Services -1,1 -0,9 -0,7 -0,4 -0,3 0,1 -0,7 -0,6
Ensemble des secteurs  -1,1 -1,0 -0,5 -0,4 -0,2 -0,1 -0,8 -0,6
Productivité horaire après correction  
Construction 4,0 1,0 3,0 0,3 -1,8 0,9 2,4 1,6
Industrie 4,0 4,4 3,4 3,1 3,3 -0,2 7,2 3,7
Services 4,8 2,6 2,3 0,4 2,3 0,9 -2,0 1,7
Ensemble des secteurs  4,4 3,2 2,8 1,7 3,0 0,9 1,1 2,5

Source : MES-DARES, INSEE.

Selon les données de la comptabilité nationale, le ralentissement de la productivité ne concernerait donc que très partiellement l'industrie. Ce serait essentiellement les secteurs des services qui auraient contribué à l'enrichissement de la croissance en emplois. Le freinage de la productivité horaire du travail de l'ensemble des branches (de 2,8 % à 1,7 %, soit un peu plus d'un point) s'explique pour les trois quarts par la contribution des services qui passe de 1,3 % à 0,3 %. Par ailleurs, la croissance de l'emploi est la plus forte dans le secteur de services dont la productivité est la moins rapide. La part des services en termes d'heures travaillées est passé de 45 % dans les années soixante-dix à 62 %. En conséquence, un ralentissement de 1 point de la productivité dans ce secteur se serait traduit par un freinage de 0,45 point dans les années soixante-dix de la productivité de l'ensemble des secteurs, et de 0,62 point aujourd'hui. La spécialisation de l'économie vers les services a donc accentué l'impact du ralentissement de la productivité du travail sur l'ensemble de l'économie.

Ce que Problèmes économiques a publié récemment sur le sujet :


( 1) Pour plus de détails voir DARES (2000), "L'emploi et le chômage en 1999", Premières Synthèses, n° 2000.06, 26-2.

( 2) Voir Le Dem J. et Lerais F. (1990), "Où va la productivité du travail ? une comparaison internationale", Économie et statistique, n° 237-238, novembre-décembre.

( 3) Duchêne et Jacquot ne trouvent pas tout à fait les mêmes résultats sur les données provisoires qui s'arrêtent en 1995 : seuls la France, l'Espagne et le Royaume-Uni enregistreraient un ralentissement tendanciel des gains de productivité. Voir Duchêne S. et Jacquot A. (1999), "Une croissance plus riche en emplois depuis le début de la décennie ? une analyse en comparaison internationale", Document d'études de la DARES, n° 25, mars.

( 4) Voir Le Dem J. et Lerais F. op. cit.

( 5) Voir Chauvière M. et Didier M. (1999), "La faiblesse de l'investissement dans les années récentes s'est accompagnée d'une moindre substitution capital-travail", Premières synthèses, n° 99.02, 08.2.

( 6) Voir notamment DARES-DP-INSEE (1997), Bilan économique et social de la France. Dossier préparatoire à la conférence nationale sur l'emploi et les salaires, La Documentation française.

( 7) Voir Chouvel F. (1995), "Durée du travail et conjoncture", Premières synthèses, n° 95-09, février.

( 8) Voir Fiole M. : "Le temps partiel", Premières synthèses, à paraître.

( 9) Voir CSERC (1996), L'allégement des charges sur les bas salaires, La Documentation française.

( 10) Voir DARES (1997), La politique de l'emploi, la Découverte.

( 11) Voir DARES (1996), "40 ans de politiques de l'emploi", La Documentation française.

( 12) Toutefois, il ressort que les dispositifs généraux ont contribué à stabiliser puis à accroître légèrement la part de l'emploi peu qualifié dans l'emploi total depuis 1994. Voir Gubian A. et Ponthieux S. (2000), "Emplois non qualifiés, emplois à bas salaires et mesures d'allégement du coût du travail", Premières synthèses, n° 2000.12, 51.1.

( 13) Au tout début de la décennie 2000, la mise en oeuvre de la réduction collective de la durée du travail permet ainsi que ce taux de croissance soit nettement inférieur à 2 %.

Problèmes économiques, n° 2711 (02/05/2001)
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Auteur : Frédéric Lerais, DARES.
Article original : "Une croissance plus riche en emplois." Certains tableaux ne sont pas reproduits.
Source : Premières informations et Premières synthèses, n° 2001.02, 07.1 ; Direction de l'animation et de la recherche des études et des statistiques (DARES), ministère de l'Emploi et de la Solidarité, 20 bis, rue d'Estrées, 75700 Paris 07 ; tél. 01 44 38 23 11 ou 23 14 ; fax 01 44 38 24 43 ; internet : www.travail.gouv.fr, rubrique études et statistiques puis publications (DARES).