Quantifier les effets de l'innovation sur la croissance : une revue de la littérature

Sommaire

L'innovation et la croissance
Comment mesurer les effets de la R & D sur la croissance ?
Survol des approches
Présentation des résultats empiriques
      Taux de rendement et élasticités de la R & D : données individuelles
      Taux de rendement et élasticités de la R & D : données de firmes et d'industries
      Taux de rendement sociaux domestiques de la R & D
      Taux de rendement sociaux internationaux de la R & D
      Contributions de la R & D à la croissance
Bibliographie

par Pierre Mohnen, Jacques Mairesse.

Les économistes ont mis en évidence le rôle joué par les innovations, que ces dernières soient de nouvelles techniques de production ou de nouveaux produits, dans la croissance économique. Ils ont également cherché à quantifier les effets de ces innovations. Plusieurs mesures existent : taux de rendement privé de la recherche, taux de rendement social, comptabilité de la croissance. Quels sont les résultats des études empiriques ? À quelles difficultés méthodologiques se heurte ce type d'études ?

L'innovation et la croissance

Un pays ou un secteur arrive à produire davantage quand il peut utiliser plus de facteurs de production (que ce soit le travail, le stock de capital physique ou les matières premières) ou quand il parvient à combiner ces facteurs plus efficacement. Dans le premier cas, la croissance est due à l'augmentation des ressources productives, par exemple suite à l'immigration ou à des investissements en capital physique. Dans le deuxième cas, la croissance est due à l'accroissement de la productivité totale des facteurs qui peut résulter de l'exploitation de rendements d'échelle, d'une plus grande flexibilité dans l'ajustement des facteurs de production ou d'une meilleure information à la disposition des entreprises. Les travaux empiriques et la nouvelle théorie de la croissance mettent surtout l'accent sur les innovations. Une économie croît avant tout quand elle adopte de nouvelles techniques de production, moins intensives en facteurs de production, ou quand elle perce de nouveaux marchés, notamment par le biais de nouveaux produits. La littérature moderne de la croissance endogène (Aghion et Howitt, 1998) distingue la croissance par l'élargissement de la gamme des produits (différenciation horizontale) et la croissance par la qualité de nouveaux produits (différenciation verticale). Dans le premier cas, les nouveaux produits s'ajoutent aux autres et augmentent par la variété offerte la satisfaction des consommateurs et la productivité des producteurs. Dans le deuxième cas, les nouveaux produits de meilleure qualité se substituent aux anciens et augmentent ainsi les niveaux de productivité.

Depuis une quarantaine d'années, les économistes cherchent à quantifier les effets de l'innovation sur la croissance. Les premières modélisations du progrès technologique le représentaient comme une tendance temporelle, exogène ou induite par certains facteurs tels que l'évolution du prix du travail ou l'imposition de nouvelles normes environnementales. Ensuite, s'est développé le concept de stock de connaissance comme facteur de production ou comme facteur de déplacement de la frontière de production. Il a été approximé d'abord par l'expérience (le learning by doing), puis, avec l'apparition des données sur la recherche-développement des entreprises, par le stock accumulé de ces dépenses de recherche.

Le savoir issu de la recherche-développement est considéré comme un stock de connaissance qui joue le rôle de facteur de production. Sa quantité est mesurée par l'accumulation des dépenses passées qui se déprécient à un certain taux (que les études empiriques fixent généralement à 10 ou 15 %). Ce taux de dépréciation mesure la perte de connaissance due à la fermeture d'un laboratoire, la mort d'un chercheur ou son vieillissement, qui font en sorte qu'une partie de la connaissance dite tacite, non transmissible sur papier ou par des codes (par opposition à de la connaissance codifiée) disparaît. Il se peut aussi que de la connaissance codifiée se perde, par exemple par des incendies, des vols, des malrangements. Ce taux de dépréciation physique du capital recherche est à distinguer du taux de dépréciation en valeur qu'est le taux d'obsolescence. Ce dernier ajoute à la dépréciation physique la perte de valeur due à l'apparition de nouveaux produits et de nouvelles techniques. Le prix du facteur recherche-développement est l'indice des prix des différentes composantes du coût de la recherche : les coûts des chercheurs et du personnel de soutien, de l'équipement et du matériel de recherche.

Les dépenses de recherche-développement (R & D) sont des inputs dans la production de connaissance, dont les outputs peuvent être mesurés de différentes façons : les brevets, les inventions, les innovations, la valeur de l'entreprise innovante, les publications et les citations. Des études empiriques ont mis en relation les inputs et les outputs de la recherche par le biais d'une fonction de production de la connaissance. D'autres études ont examiné le lien entre les indicateurs technologiques et les performances des entreprises. Nous nous limiterons dans ce survol aux études utilisant les données de R & D et d'innovation liées aux performances de productivité( 1 ).

Comment mesurer les effets de la R & D sur la croissance ?

Il existe différentes façons de mesurer l'effet de la recherche sur la croissance. Bien que ces mesures soient reliées entre elles, elles ont chacune une signification différente. L'économiste peut vouloir rapporter un taux de rendement, une élasticité de la production, ou une contribution à la croissance de la production ou de la productivité. Dans chaque cas, la mesure peut s'appliquer à la recherche propre d'une firme, d'un secteur ou d'un pays, ou à la recherche faite quelque part ailleurs.

Le taux de rendement privé de la recherche mesure combien une augmentation marginale du stock de R & D propre rapporte en termes de chiffre d'affaires ou de valeur ajoutée ou de combien elle fait baisser les coûts de production pour celui qui engage les fonds à financer la recherche. Ce taux de rendement à la recherche peut être comparé à celui du capital physique. Normalement, un taux de rendement se calcule à partir de la valeur présente des flux présents et futurs de dépenses et de recettes liés à un investissement. La productivité marginale du capital recherche peut, sous certaines conditions, être interprétée comme un taux de rendement interne qui inclut le taux de dépréciation du stock de connaissance issu de la R & D.

Par rapport au taux de rendement propre, on distingue le taux de rendement social de la R & D. Celui-ci inclut toutes les retombées externes de la recherche dans les firmes, secteurs ou pays autres que ceux où la recherche est effectuée. En effet, la recherche faite dans une firme peut avoir des retombées dans d'autres firmes, du même secteur ou d'un autre secteur. Les retombées externes sont de deux ordres. Les premières sont de nature pécuniaire. Une firme peut jouir de la R & D faite par une autre firme si elle achète de celle-ci des biens intermédiaires à un prix qui ne correspond pas à leur valeur d'usage. Elle s'approprie alors une partie des rentes de la firme innovante. À cause de l'information imparfaite et asymétrique et de l'impossibilité de discriminer parfaitement dans les prix, le vendeur d'un produit incorporant de la recherche n'arrive pas à vendre son produit à la valeur d'usage qu'il représente pour l'acheteur. Par ailleurs, une entreprise peut voir ses bénéfices augmenter quand elle fabrique des biens ou livre des services qui sont complémentaires aux produits de la firme innovante. On peut aussi ranger dans la catégorie des externalités pécuniaires le passage vers un nouvel équilibre général occasionné par l'apparition de nouveaux produits ou de nouvelles techniques de production qui aboutissent à la création de nouvelles firmes, de nouvelles relations interindustrielles et à la relocalisation des activités économiques. Les externalités du deuxième type proviennent d'un transfert de connaissances d'une firme à l'autre. Une partie de la nouvelle connaissance devient publique et échappe aux lois d'appropriation des bénéfices par le mécanisme du marché. Les idées se diffusent et s'autogénèrent. Le simple fait de savoir qu'une firme se lance dans un nouvel axe de recherche ou abandonne une piste qui n'est plus prometteuse peut révéler de l'information utile pour un autre locataire de recherche. Il faut mentionner qu'à côté des externalités positives il existe aussi des effets externes qui peuvent être préjudiciables plutôt que bénéfiques. On qualifie ces externalités de négatives. Si plusieurs laboratoires de recherche se lancent dans une course aux brevets où seul le meilleur empoche la totalité des bénéfices, et si les laboratoires ne s'échangent pas d'information au cours de leurs recherches, nous sommes en présence d'un cas de duplication de la recherche et de dépenses inutiles pour la société. Les externalités négatives existent aussi quand la recherche sert de stratégie de préemption, pour empêcher l'apparition de nouveaux entrants et réduire de la sorte la concurrence sur le marché. Par contre, il est à noter que la recherche d'une entreprise peut nuire à certaines autres entreprises du secteur tout en ayant un rendement social très positif pour l'économie dans son ensemble.

Certains auteurs rapportent "le taux de rendement" de la recherche d'autrui, plus exactement sa productivité marginale ou son prix fictif (c'est-à-dire de combien elle fait baisser à la marge le coût de production). Ce taux de rendement mesure non pas l'effet de la recherche propre mais celui de la recherche faite par d'autres acteurs dans l'économie. Ce taux de rendement entre dans le calcul du taux de rendement social de la recherche. En effet, le taux de rendement social de la recherche faite par i représente la somme des effets de sa recherche sur le volume ou le coût de production de i et des n autres agents dans l'univers qu'on considère. Certains auteurs, surtout ceux qui utilisent une approximation du premier ordre d'une représentation technologique, préfèrent rapporter des élasticités de la production à la recherche plutôt que des taux de rendement, c'est-à-dire qu'au lieu de rapporter les effets de la recherche en termes de changements absolus, ils les mesurent en termes de pourcentages.

Une autre façon de mesurer l'impact de la recherche consiste à procéder à une comptabilité de la croissance. Cet exercice de comptabilité calcule la part de la croissance attribuable aux différents facteurs de production et au résidu assimilé au progrès technologique. Elle nécessite l'estimation de l'élasticité de la production au capital de recherche. La part de chaque facteur de production, dont celle du capital de recherche, dans la croissance est donnée par la croissance du facteur mutlipliée par l'élasticité de la production par rapport à ce facteur. Si le stock de recherche a augmenté de 1 % et que l'élasticité de la production par rapport au facteur recherche est de 0,07, alors on peut affirmer que le facteur recherche a contribué de 0,07 point de pourcentage à la croissance de la production. Si celle-ci a été de 1,4 % alors la croissance de la R & D explique 5 % de la croissance de la production.

Il convient ici de faire quelques remarques de précaution dans l'interprétation de ces chiffres. D'abord, la comptabilité de la croissance n'est pas vraiment une explication des causes profondes de la croissance mais une décomposition par rapport aux effets immédiats. En faisant plus de recherche, les firmes ont peut-être dépensé moins à d'autres postes comme l'investissement en machines ou la formation des travailleurs. Il peut donc y avoir des effets de substitution et de complémentarité entre la R & D et les autres facteurs de production qui ne sont pas bien pris en compte dans une simple décomposition de la croissance.

L'autre critique que l'on peut faire à la comptabilité de la croissance est le fait d'expliquer une variable endogène par d'autres variables endogènes. Pour vraiment comprendre comment la R & D joue sur la croissance, il faut une modélisation et une prise en compte des mécanismes par lesquels elle influe sur la productivité. Par exemple, la R & D forme des chercheurs dont les nouvelles compétences vont faciliter les découvertes futures et l'acquisition de connaissances provenant de la recherche des autres. Les dépenses de recherche vont faire augmenter la rareté des chercheurs et par là leur salaire relatif par rapport aux travailleurs de la production. Ceci peut causer une réaffectation de ces travailleurs vers la recherche aux dépens des secteurs productifs de l'économie. Pour compenser cet exode, il faudrait hausser les salaires dans les secteurs productifs, ce qui est préjudiciable à la compétitivité dans ces secteurs. Par ailleurs, si les chercheurs sont mobiles, ils peuvent être attirés par des salaires à l'étranger. Ce qui compte aussi, c'est l'organisation de la recherche, les interactions entre les universités et le monde des affaires, la place du secteur public dans la recherche de biens à caractère public ou la complémentarité entre les centres de recherche. Des contributions théoriques dans ce sens ont été faites dans les théories de la croissance endogène, des contrats et des systèmes d'innovation. Il faut bien reconnaître que les travaux empiriques sont en grande partie encore ancrés dans une vue simple de la contribution immédiate de la recherche à la production. Une modélisation structurelle plus approfondie n'en est encore qu'à ses balbutiements. Mais déjà à ce niveau de simplicité théorique les problèmes économétriques sont de taille.

Survol des approches

L'estimation de l'impact de la R & D sur la croissance passe d'une façon ou d'une autre par l'estimation d'une représentation technologique. Celle-ci peut être la fonction de production (approche primale) ou une représentation duale de la technologie basée sur l'observation de certains facteurs de production (au moins deux), supposés résulter d'une quelconque optimisation (approche duale). La façon habituelle de procéder dans l'approche primale consiste à estimer une fonction de production Cobb-Douglas élargie. Il existe différentes spécifications possibles dans le cadre de cette approche. En résumé, on peut estimer soit l'élasticité de la recherche (de combien augmente en pourcentage la production si la recherche augmente de 1 % ?), soit le taux de rendement (ou la productivité marginale) de la recherche (de combien augmente la production suite à une augmentation marginale du stock de recherche ?). L'estimation peut se faire en taux de croissance ou en niveaux. On peut imposer ou non les hypothèses de constance des rendements d'échelle, d'optimalité des niveaux d'input observés, et de concurrence parfaite dans les prix. La combinaison de ces trois hypothèses revient à estimer une spécification du niveau ou de la croissance de la productivité totale (ou partielle) des facteurs. La contribution de la R & D à la croissance est alors mesurée par la croissance du stock de recherche multipliée par l'élasticité de la production à la recherche. Dans la lignée des travaux sur les frontières de production, on distingue les niveaux de facteurs et les montants de production qui se situent à l'intérieur de la frontière de production et ceux qui sont sur la frontière. Dans le cadre de cette approche, Fecher et Perelman (1989, 1992) par exemple calculent les effets de la R & D sur le rapprochement envers la frontière d'efficacité et sur le déplacement de celle-ci.

Une approche alternative à l'estimation d'une fonction de production revient à estimer une représentation duale de la technologie comme la fonction de coût ou celle de profit. Sous certaines hypothèses de régularité (qui doivent être vérifiées si elles ne sont pas imposées a priori), ces représentations permettent de dériver toutes les caractéristiques de la technologie, en particulier le taux de rendement de la recherche ou l'élasticité de la production à la recherche. L'approche duale s'accompagne souvent d'une formulation plus générale de la technologie à l'aide de formes flexibles ou semi-flexibles, des approximations du deuxième ordre de la vraie fonction, imposant moins de restrictions a priori sur la technologie que les approximations de premier ordre, comme les fonctions de type Cobb-Douglas. C'est également (mais pas nécessairement) avec les représentations duales de la technologie que l'on aborde généralement la dynamique des demandes des facteurs de production, reconnaissant le caractère quasi fixe de certains facteurs de production, notamment le stock de R & D. En raison des difficultés de trouver les chercheurs adéquats pour un projet de recherche et la mise sur pied même d'un projet, il est reconnu que l'ajustement rapide du stock de R & D implique des coûts d'ajustement.

Les modèles de la croissance endogène vont plus à fond dans la modélisation du rôle de la R & D et de ses déterminants. Une partie de la force de travail est affectée à la recherche-développement pour produire de nouveaux produits intermédiaires qui augmentent la productivité par le biais d'une plus large gamme de facteurs de production disponibles ou par le remplacement d'anciens produits par des versions de meilleure qualité. L'incitation à faire de la R & D provient de la concurrence imparfaite sur le marché des produits intermédiaires. La transmission des connaissances issues de la recherche se fait par l'intermédiaire de l'achat d'inputs intermédiaires en provenance de producteurs domestiques ou étrangers. Ce type de modèle donne lieu à des modèles structurels à équations simultanées qui expliquent par exemple à la fois la productivité, la recherche-développement et les demandes de brevets (Eaton et Kortum, 1997).

Les données provenant des enquêtes innovation permettent elles aussi une modélisation plus poussée du lien entre la R & D et la productivité. Celle-ci consiste à estimer un système d'équations où les innovations proviennent de la R & D et affectent à leur tour la productivité des entreprises concernées. Dans ce type de modèle, le lien entre la R & D et la productivité n'est pas estimé directement sous forme réduite mais à travers un modèle structurel qui passe de la R & D à la productivité en passant par les innovations ou les brevets (Crépon, Duguet, Mairesse, 1998). (...)

Présentation des résultats empiriques

Pour la présentation des résultats empiriques, nous avons sélectionné un certain nombre de travaux empiriques avec des résultats caractéristiques, en donnant une préférence aux travaux plus récents et en essayant de couvrir des résultats de différents pays. Le lecteur intéressé par une liste plus exhaustive de travaux et de résultats pourra se référer aux survols mentionnés en début de bibliographie ou directement aux autres travaux cités en référence. Il est important de souligner, dès le départ, qu'il faut être très prudent quand on compare les résultats provenant de différents travaux. Non seulement les données sur lesquelles ils reposent proviennent de populations différentes qui ne sont pas nécessairement homogènes, mais aussi les modèles sousjacents, c'est-à-dire les processus qui sont supposés engendrer les données, ou les méthodes économétriques utilisées pour inférer les paramètres des modèles à partir des observations peuvent différer d'une étude à l'autre.

Quatre critères nous paraissent importants pour dissocier les travaux entre eux : le modèle (approche primale, approche duale, approche de systèmes d'équations simultanées), le niveau d'agrégation des données (usines, entreprises, industries, pays), l'économétrie basée sur les variations temporelles ou transversales des données, et la prise en compte ou non des retombées externes de la R & D. Le choix de modèle reflète des hypothèses sur l'exogénéité et les erreurs de mesure des variables explicatives que sont les quantités de facteurs de production dans le primal, les prix des facteurs, la quantité à produire, et éventuellement les quantités de certains facteurs de production dans le dual basé sur la fonction de coût. Un modèle plus complet de systèmes d'équations qui spécifie les interactions entre les variables permet de corriger des biais de simultanéité et de sélection. Le niveau d'agrégation de l'analyse devrait, en principe, affecter les rendements de la recherche à cause de l'internalisation des retombées externes de la recherche. Il devrait aussi conditionner le choix de la spécification économétrique car le degré d'exogénéité des variables explicatives dépend du niveau d'agrégation. Un niveau plus fin d'agrégation rend l'interprétation des résultats plus proche des modèles théoriques, mais augmente par la même occasion le niveau de complexité des variables de contrôle à mettre en oeuvre. L'exploitation des variations temporelles situe l'analyse des données dans une perspective de court terme tandis que les variations transversales correspondent plutôt à des variations de long terme. Finalement, la présence d'externalités de la recherche enrichit et améliore l'analyse puisqu'elle introduit une variable explicative importante.

Taux de rendement et élasticités de la R & D : données individuelles

Le tableau 1 présente des estimations d'élasticités et de taux de rendement de la R & D obtenus à partir de données individuelles d'entreprises avec l'approche primale. D'abord, on peut constater que la R & D produit des effets significatifs sur la production, que ce soit à travers les estimations de taux de rendement ou d'élasticités de la production à la R & D, et ce sur plusieurs corps de données. Pour donner un ordre de grandeur approximatif, les élasticités se situent dans la fourchette de 5 à 30 % et les taux de rendement entre 10 et 80 %. En moyenne, les élasticités estimées concordent avec les estimations de taux de rendement, comme le montrent les valeurs calculées les uns à partir des autres dans les études de Hall et Mairesse (1995) et de Harhoff (1998).

Ce qui différencie les résultats, c'est tout d'abord le type d'estimation. Les estimations sur les coupes transversales exploitent les variations entre entreprises, tandis que celles sur les séries temporelles basent l'inférence sur les variations des données d'une même entreprise dans le temps, indépendamment de leur niveau. Les études présentées dans le tableau 1 ont été faites sur des panels d'entreprises. Ces données-là contiennent les deux types de variations. On peut les estimer dans la dimension transversale en basant l'estimation sur les moyennes des variables dans le temps par entreprise (dimention between) ou sur l'ensemble des observations (dimension "total"), où prédominent les variations en coupe. On peut alternativement les estimer en favorisant les variations temporelles, soit en les transformant en déviations par rapport aux moyennes individuelles (dimension within), soit en prenant les différences premières dans les logarithmes, ce qui revient à estimer des taux de croissance. Les estimations within ont l'avantage d'isoler les caractéristiques spécifiques aux entreprises, mais cela au prix d'ignorer complètement les variations entre entreprises. Comme le montrent clairement les résultats de Hall et Mairesse (1995) et de Harhoff (1998), les estimations transversales donnent des résultats plus élevés que les estimations temporelles sur les mêmes données. Et, comme le montre l'estimation de Griliches et Mairesse (1990) sur les données japonaises, les estimations basées sur la variation temporelle risquent plus souvent de donner des estimations statistiquement non significatives. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce résultat. Premièrement, la multico- linéarité entre les facteurs de production, en particulier entre les stocks de capital de recherche, de capital physique et le taux de progrès technologique, est probablement plus forte sur les taux de croissance que sur les niveaux. La colinéarité entre les variables ne permet pas d'identifier les effets séparés de celles-ci.

Deuxièmement, les erreurs de mesure risquent d'être plus importantes pour les taux de croissance que pour les niveaux des variables avec pour effet de biaiser les estimations vers le bas. Troisièmement, l'exploitation des variations temporelles nécessite une bonne spécification de l'évolution dynamique des variables, et, par conséquent, l'omission de variables telles que la durée du travail, le taux d'utilisation des capacités de production et les délais d'ajustement influence les résultats beaucoup plus dans les estimations temporelles que dans les estimations transversales, qui représentent davantage des relations de long terme entre les variables. Par ailleurs, les estimations de Capron et Cincera (1998) donnent les estimations ponctuelles différentes suivant la technique d'estimation utilisée dans la dimension temporelle. La transformation within des variables risque de causer des problèmes de corrélation entre les variables explicatives et les termes d'erreur, plus que l'usage de différences premières. Par contre, les différences premières amplifient les problèmes d'erreurs de mesure. Une façon de corriger pour ces biais éventuels est de faire une estimation sur variables instrumentales en utilisant la méthode des moments généralisés (GMM). Par contre, on remarque que les trois techniques d'estimation utilisées par Capron et Cincera (1998) donnent des intervalles de confiance chevauchants. Les écarts-type sont plus grands avec l'estimation en taux de croissance qu'avec l'estimation within, ce qui semble confirmer le bruit plus important avec les taux de croissance, et encore plus grands avec l'estimation GMM, ce qui est typique des estimations à variables instrumentales. La qualité des instruments est cruciale pour avoir une estimation précise.

Tableau 1. Élasticités et taux de rendement de la R & D (1)

Étude Échantillon Type d'estimation Élasticité
de la R & D
Taux de rendement
de la R & D
Griliches-Mairesse
(1990)
États-Unis
525 entreprises
(1973-1980)
Temporelle
(taux de croissance)
  0,25
(0,10)
  Japon
406 entreprises
(1973-1980)
Temporelle
(taux de croissance)
  0,20
(0,21)
Lichtenberg-Siegel
(1991)
États-Unis
5 240 entreprises
(1972-1985)
Temporelle
(taux de croissance)
  0,13
(0,02)
Hall, Mairesse
(1995)
France
197 entreprises
(1980-1987)
Transversale
(total)
0,25
(0,01)
0,78 (2)
    Temporelle
(within)
0,06
(0,04)
0,22 (2)
    Temporelle
(taux de croissance)
  0,23
(0,05)
Harhoff
(1998)
Allemagne
443 entreprises
(1979-1989)
(panel non cylindré)
Transversale
(total)
0,14
(0,01)
 
    Temporelle
(within)
0,09
(0,02)
0,66 (2)
    Temporelle
(taux de croissance)
  0,86
(0,17)
Crépon, Duguet,
Mairesse (1998)
France
6 145 entreprises
(1990)
Transversale
(coupe)
0,12
(0,02)
 
Capron, Cincera
(1998)
625 entreprises
manufactures dans le monde
Temporelle
(within)
0,24
(0,02)
 
    Temporelle
(taux de croissance)
0,32
(0,04)
 
    Temporelle
(GMM, taux de croissance)
0,13
(0,05)
 

(1)Données individuelles d'entreprises ; approche fonction de production ; écarts-type entre parenthèses.

(2)Calculé à la main en utilisant les moyennes ou les médianes des variables.

Les estimations en coupe tendent à diminuer en ordre de grandeur si on prend en compte des indicatrices sectorielles dans les spécifications retenues. D'une part, ces indicatrices corrigent pour les biais dus à l'omission de facteurs spécifiques aux industries, d'autre part, elles risquent de capter le phénomène des opportunités technologiques, c'est-à-dire la plus grande probabilité de faire des trouvailles dans un certain secteur. Les rendements de la recherche sont en partie explicables par ce facteur.

Les estimations peuvent aussi différer entre études en raison de la nature des données utilisées. La plupart des travaux trouvent des taux de rendement plus importants pour la recherche effectuée dans des secteurs dits scientifiques, pour la recherche de base comparée à la recherche appliquée et au développement, pour la recherche visant à trouver de nouveaux procédés plutôt que de nouveaux produits, et pour la recherche financée par l'État par opposition à la recherche financée à partir de fonds privés. Ces résultats peuvent s'expliquer assez aisément. Les secteurs scientifiques jouissent d'une plus grande base scientifique, donc d'une opportunité technologique plus grande. La recherche de base est en partie effectuée dans ces mêmes secteurs scientifiques. Par ailleurs, celle-ci a des retombées plus importantes puisqu'elle peut mener à des applications diverses et nombreuses. La recherche de procédés est plus facile à mettre en oeuvre alors que la recherche de produits nécessite un effort de mise en marché. Et, en plus, les effets de la recherche de produits sont mal mesurés si les indices de prix ne reflètent qu'imparfaitement les améliorations de produits. Finalement, la recherche financée par l'État incite moins les entreprises à être efficaces dans leur recherche. Elle est aussi, il faut le dire, souvent effectuée dans des secteurs où les bénéfices de la R & D se mesurent mal, comme la santé et l'exploration spatiale. Donc, dans la mesure où l'échantillon de firmes françaises dans Hall et Mairesse (1995) contient plus de firmes intensives en recherche que l'échantillon plus large de firmes américaines dans Lichtenberg et Siegel (1991), il est normal que l'estimation du taux de rendement moyen de la recherche soit plus faible dans la deuxième étude.

Taux de rendement et élasticités de la R & D : données de firmes et d'industries

Le tableau 2 compare les estimations du taux de rendement et de l'élasticité de la recherche propre et de la recherche d'autrui sur base de données d'entreprises et de données d'industries, toujours avec l'approche primale. Comme nous pouvons le constater à la lecture de ce tableau et du précédent, les taux de rendement ou élasticités propres ne varient pas systématiquement avec le niveau d'agrégation des données. Que ce soient des données d'usines, d'entreprises ou d'industries, les estimations sont du même ordre de grandeur. On s'attendrait à obtenir des estimations plus élevées à des niveaux d'agrégation plus élevés à cause de l'inclusion des retombées externes de la recherche entre les composantes de l'agrégat. La productivité de la recherche des autres varie plus d'une étude à l'autre que la productivité de la recherche propre. Même à partir des mêmes données, les estimations des retombées de la recherche des autres varient sensiblement avec le choix de la matrice de pondération, comme le montrent les résultats de van Meijl (1995). Même si les estimations des retombées de la recherche entre firmes d'une même industrie et entre industries sont dispersées, il reste qu'elles sont significatives. Plusieurs études (Scherer, 1984 ; Griliches et Lichtenberg, 1984 ; Englander, Evenson et Hanazaki, 1988) ont montré que c'est la recherche utilisée plutôt que la recherche faite par un secteur ou une entreprise qui importe le plus dans l'explication de l'évolution de la productivité, la recherche utilisée comprenant une partie de la recherche propre et de la recherche des autres.

Tableau 2. Taux de rendement ou élasticités de la recherche des autres (1)

Étude Échantillon Matrice de pondération R & D propre R & D des autres
Taux de
rendement
Élasticité Taux de
rendement
Élasticité
Données de firmes
Jaffe (1988) 573 entreprises
des États-Unis
Localisation dans l'espace
des brevets
27 %
(1 %)
    10 %
(4 %)
Mairesse-Sassenou
(1989)
296 entreprises françaises Sommation
sans pondération
    Égal
au propre
 
Adams-Jaffe (1994) 19 561 usines
des États-Unis
(1974-1988)
Sommation
sans pondération
de la R & D des autres
entreprises du secteur
  8 %
(4 %)
  8 %
(8 %)
Données d'industries
Griliches-Lichtenberg
(1984)
193 industries manuf.
des États-Unis (1959-1978)
et sous-périodes
Flux de brevet De
non-signif.
à 76 %
(27 %)
  De
non-signif.
à 90 %
(36 %)
 
Sterlacchini (1989) 15 industries manuf.
du Royaume-Uni
(1945-1983)
Flux entrée-sortie
Flux d'innovation
  9 à 12 %
14 à 30 %
   
Goto-Suzuki (1989) 50 industries manuf.
du Japon (1978-1983)
Flux entrée-sortie 26 %   80 %  
Van Meijl (1995) 30 industries françaises
(1978-1992)
Flux entrée-sortie 12 à 23 %   90
à 149 %
 
Flux d'investissement     754
à 880 %
 
Flux de brevets     16 à 30 %  

(1)Approche fonction de production ; écarts types entre parenthèses.

Taux de rendement sociaux domestiques de la R & D

En principe, on pourrait, à partir des estimations des rendements de la recherche d'autrui et de la recherche propre, calculer des taux de rendement sociaux de la R & D. Pour les travaux mentionnés au tableau 2 nous n'avons pas l'information disponible pour le faire. Cela a été fait pour les études au tableau 3, qui reposent sur une spécification de fonction de coût. Comme les modèles de l'approche duale estiment un système de demande de facteurs avec des contraintes paramétriques entre équations, ils donnent plus de degrés de liberté et permettent l'exploitation de séries chronologiques plus courtes. Par conséquent, ils permettent plus facilement que les modèles de l'approche primale d'obtenir des estimations séparées par industrie. Les taux de rendement varient entre industries, surtout les taux de rendement sociaux. Les taux de rendement propres de la R & D sont en moyenne de 56 % dans Mohnen et Lépine (1991). Mis à part les estimations élevées pour l'industrie du caoutchouc et celle de la fabrication métallique, les taux de rendement estimés avec la méthode duale tombent dans l'intervalle obtenu avec les études basées sur l'approche primale. Les estimations extrêmes sont en partie dues au passage d'estimations d'élasticités (elles-mêmes variables) à des taux de rendement, poussant vers le haut les taux de rendement dans les secteurs à faible intensité de recherche. Dans l'étude de Bernstein (1998) les estimations moyennes des taux de rendement propres sont plus bas (16,4 % aux États-Unis, 12,8 % au Canada) à cause de l'hypothèse d'optimalité de la recherche sectorielle. Les approches primales et duales ne semblent pas donner des estimations systématiquement différentes du taux de rendement de la R & D. La plus grande variabilité des estimations à partir du dual est plutôt due aux estimations séparées par industie.

Tableau 3. Taux de rendement propres et sociaux (domestiques) de la R & D

(en %) (1)

Industries Mohnen-Lépine (1991) Bernstein (1998)
Spécifications Canada
1975, 1977,
1979, 1981-1983
Canada, États-Unis
1962-1989
  L, M, P variables
K, R fixes
Panel à effets fixes
L, M, K, R optimaux
Panel à effets fixes
par industrie
    Canada États-Unis
Spécification des externalités interindustrielles Flux de brevets Sommation sans pondération de la R & D domestique, estimation paramétrique de l'externalité intra-industrielle étrangère
  Taux propre Taux social  
Aliments, boisson et tabac     144 183
Caoutchouc et plastique 143 157 155 44
Pâtes et papier     126 99
Métaux 17 51 52 111
Produits métalliques 274 314 154 157
Machinerie 27 117 161 85
Équipement de transport     32 88
Avion et pièces 8 11    
Produits électroniques     158 96
Équipement de télécommunication et électronique 5 24    
Machines de bureau 27 12    
Autres appareils électriques 33 47    
Produits minéraux non métalliques     111 132
Produits raffinés du pétrole et du charbon 48 52 126 174
Produits chimiques     49 98
Drogues et médicaments 15 17    
Autres produits chimiques 51 132    
Matériel scientifique et professionnel 49 75    

L = travail ; M = intrants intermédiaires ; K = stock de capital physique ; R = stock de R & D ; P = paiements technologiques à l'étranger.

(1)Données d'industries ; approche duale.

Les taux de rendement sociaux de la R & D dépassent les taux de rendement privés de 50 % en moyenne dans Mohnen et Lépine (1991). Dans Bernstein (1989), le fossé entre les deux taux est encore plus élevé. La grandeur estimée des taux de rendement sociaux dépend de la grandeur estimée du taux de rendement propre, des élasticités de la production à la R & D d'autrui, des mesures de proximité entre émetteurs et récepteurs d'externalités et du nombre de receveurs pris en ligne de compte. Dans Mohnen et Lépine (1991), les taux de rendement propres sont plus élevés que dans Bernstein (1998), par contre ce dernier inclut plus de secteurs dans son analyse. Les pondérations affectées aux retombées externes sont unitaires dans Bernstein (1998) alors qu'elles sont comprises entre 0 et 1 dans Mohnen et Lépine (1991). Par dessus le marché, Bernstein (1998) inclut dans son taux de rendement social deux types d'externalités : les externalités domestiques interindustrielles et les externalités intra-industrielles du pays partenaire (le Canada ou les États-Unis). Il est donc encore plus difficile de comparer les estimations entre études différentes pour ce qui est du taux de rendement social que pour ce qui est du taux de rendement propre. Mais on peut dire avec confiance que les externalités existent et qu'elles sont suffisamment importantes pour les inclure dans des analyses économiques de soutien à la recherche. Notre connaissance des mécanismes de propagation des bénéfices de la recherche et de la sensibilité des résultats au choix de la matrice de soutien est encore trop rudimentaire pour se prononcer sur la grandeur relative des taux de rendement sociaux entre secteurs.

Il est intéressant de souligner ici que les rendements et externalités estimés à partir des données de la R & D et de la productivité se retrouvent dans l'étude de Jaffe (1996) sur les brevets et la R & D. Il estime une productivité de la R & D de deux brevets par million de dollars de R & D propre et de 0,06 brevet par million de dollars de recherche faite dans des firmes proches. Par contre, les estimations de Crépon et Duguet (1997) montrent que les dépôts de brevets baissent avec la recherche des autres, ce qui pourrait indiquer un effet d'éviction dans la course aux brevets sans pour autant exclure la transmission de connaissances et des effets de débordements positifs sur la productivité.

Taux de rendement sociaux internationaux de la R & D

Le tableau 4 présente quelques exemples de taux de rendement propres et sociaux estimés avec des données agrégées. Les estimations des taux de rendement et des élasticités de la R & D propre rapportés par Lichtenberg (1993) et Joly (1993) se situent à la limite supérieure de la fourchette obtenue à partir des données de firmes et d'industries. Les résultats de Coe et Helpman (1995) indiquent que la croissance de la productivité totale des facteurs varie plus avec la recherche propre dans les pays du G-7 que dans les autres pays industrialisés, mais que, a contrario, la croissance de leur productivité varie plus en fonction de la recherche des autres. Les externalités internationales de la R & D rendent le taux de rendement social de la R & D provenant des pays du G-7 et au sein des vingt-deux pays industrialisés de leur échantillon de l'ordre de 155 %. Les taux de rendement sociaux calculés par Nadiri et Kim (1996) sont plus faibles parce que ces derniers supposent que la recherche propre a un taux de rendement normal, ce qui néanmoins porte le taux de rendement social de la R & D au double de son taux de rendement propre. Nadiri et Kim (1996) et Coe et Helpman (1995) évaluent que les retombées à l'étranger de la recherche domestique font 30 à 40 % du total des taux de rendement sociaux.

La plupart des travaux ont mesuré la R & D étrangère par la R & D incorporée dans les importations. Il faut s'attendre avec une telle mesure que les externalités de R & D provenant de l'étranger sont d'autant plus importantes que le pays est petit et à faible intensité de recherche. Lichtenberg et van Pottelsberghe de la Potterie (1998 b) quant à eux trouvent que les investissements directs à l'étranger sont un canal de transmission de la R & D étrangère plus important que les importations, non pas les investissements des étrangers mais les investissements à l'étranger. Par conséquent, ce ne sont plus nécessairement les petits pays qui profitent des grands. Keller (1997 a, 1997 b et 1998) a comparé les pondérations basées sur les importations et les flux de brevets à des pondérations identiques ou aléatoires. Suivant que l'on exploite les variations temporelles ou transversales, les poids identiques ou aléatoires sont meilleurs que les poids basés sur les flux de marchandises ou de brevets. Bernstein (1996 a), Bernstein et Yan (1996) et Bernstein et Mohnen (1998) ont examiné les externalités bilatérales au niveau d'industries entre le Canada et les États-Unis, le Canada et le Japon et les États-Unis et le Japon respectivement, sans pondération spécifique.

Tableau 4. Élasticités et taux de rendement (propres et sociaux) de la R & D (1)

Étude Échantillon Type d'estimation Élasticité de la R & D Taux de rendement
de la R & D
Propre Étrangère Propre Social
Lichtenberg
(1993)
53 pays
(1960-1985)
Transversale (between)
fct. de prod.
8 %
(3 %)
  50 % (2)  
Joly (1993) 5 pays du G-7
(1963-1987)
Transversale (total)
fct. de prod.
14 %
(3 %)
  100 % (2)  
Park (1995) 10 pays de l'OCDE
(1973-1987)
Temporelle (within)
fct. de prod.
17 %
(6 %)
7 %
(4 %)
  86 %
Coe et Helpman
(1995)
22 pays
(1971-1990)
Temporelle (within)
fct. de prod.
24 % (G-7)
8 % (autres)
5 %
11 % (3)
  155 %
(du G7)
Coe et al.
(1997)
22 pays du Nord
77 pays du Sud
(1971-1990)
Temporelle
(taux de croissance)
fct. de prod.
  7 % (du G-7)    
Nadiri-Kim
(1996b)
7 pays
(1964-1991)
Temporelle (within)       20 à 26 %

(1)Données agrégées ; écarts types entre parenthèses .

(2)Calculé en supposant un ratio R & D/PNB de 2 % et un ratio flux/stock de R & D de 1/7 .

(3)Moyenne pondérée par les parts de PNB en 1990.

Les États-Unis ressortent en général, à cause de leur taille et de l'intensité de leur R & D, comme la principale source des retombées étrangères de la R & D. Dans l'étude de Coe et Helpman (1995), 1 % de croissance du stock de R & D aux États-Unis augmente la productivité totale des facteurs (PTF) des vingt-deux pays de leur échantillon de 0,12 contre 0,04 % si l'augmentation se fait au Japon, 0,02 % en Europe et 0,01 % au Canada. Les États-Unis et le Japon sont aussi les principaux émetteurs d'externalités de la recherche vers les pays du Sud dans Coe et al. (1997). En partie, ces liens privilégiés sont bien sûr dus à la mesure des externalités internationales de la R & D. Ainsi dans Lichtenberg et van Pottelsberghe de la Potterie (1998 b), qui préconisent les investissements directs à l'étranger comme mécanisme de propagation de la recherche, c'est encore une fois les États-Unis qui dominent mais cette fois-ci suivis du Royaume-Uni. Se servant des citations de brevets déposés aux États-Unis, Jaffe et Trajtenberg (1996) arrivent au constat que la proximité géographique et culturelle expliquent la plus rapide diffusion des idées entre pays. Les brevets des États-Unis sont le plus souvent cités par le Canada, suivis des pays européens et du Japon. Ce n'est qu'au bout d'un certain temps que les citations entre pays se rejoignent.

Plusieurs études ont examiné les externalités de la R & D entre les pays de la triade (États-Unis, Japon et Europe). Capron et Cincera (1998) mesurent la variable externalités étrangères de la R & D en pondérant la R & D des firmes étrangères par les indices de proximité envers ces firmes dans les classes de dépôts de brevets. Ils aboutissent à la conclusion que les États-Unis ne profitent guère de la recherche étrangère, que le Japon a bien pu profiter de la recherche étrangère, des États-Unis en particulier, et que les pays européens sont eux aussi assez peu affectés par la recherche étrangère. Eaton et Kortum (1997 a) estiment la diffusion des connaissances à partir d'un modèle structurel qui combine la croissance de la productivité et les dépôts de brevet aux États-Unis, au Japon, au Royaume-Uni, en France et en Allemagne. Contrairement à Capron et Cincera (1998), ils trouvent que les trois pays européens bénéficient de la recherche étrangère tandis que les États-Unis et le Japon se fient plus à leur propre recherche. Dans une autre étude, Eaton et Kortum (1996) concluent que les États-Unis sont à l'origine de plus de la moitié de la croissance de la productivité dans dix-neuf pays de l'OCDE. L'Allemagne et le Japon y contribuent pour environ 10 %. Bernstein et Mohnen (1998) à partir de données industrielles et Branstetter (1996) à partir de données de firmes ne trouvent pas d'externalités en provenance du Japon vers les États-Unis mais bien des États-Unis vers le Japon. Bernstein (1996 a) estime que les débordements de la recherche sont plus importants des États-Unis vers le Canada que vice versa. Bernstein et Yan (1996, 1997) obtiennent des effets de débordement du Canada vers le Japon mais peu dans l'autre sens.

L'hypothèse d'externalités de la R & D conditionnées par la proximité géographique est corroborée dans plusieurs études sur la base de la localisation des entreprises breveteuses près des universités (Jaffe, 1989), de la localisation des entreprises innovantes aux alentours des universités (Acs et al., 1992), de la proximité géographique entre les entreprises qui brevètent et celles qui les citent (Jaffe et al., 1993), et des différences de productivité entre établissements localisés plus ou moins loin du centre d'une compagnie (Adams et Jaffe, 1996). Par contre, à partir de leurs différents travaux sur la naissance et la croissance des firmes de la biotechnologie, d'autres estiment que la source la plus probable des externalités apparemment de nature géographique provient des transmissions de connaissance tacite issues de la collaboration étroite entre savants des universités et les ingénieurs du secteur privé (Zucker et Darby, 1995, 1998 ; Zucker et al., 1994 a, 1994 b, 1997). La proximité géographique facilite ces collaborations mais n'est pas indispensable.

Contributions de la R & D à la croissance

Le tableau 5 donne quelques ordres de grandeur à propos de la contribution de la R & D à la croissance du PIB, de la productivité du travail ou de la productivité totale des facteurs, d'après une analyse de comptabilité de la croissance.

Tableau 5. Contributions de la R & D à la croissance

Étude Échantillon Contribution à la croissance... ... de la...
Griliches (1994) Calcul rapide
sur base d'estimations raisonnables
50 % ... productivité du travail
    75 % ... productivité totale des facteurs (PTF)
Joly (1993) France   ... du PIB
  1963-1973 38 %  
  1974-1979 25 %  
  1980-1987 35 %  
  agrégé    
  5 pays
différentes périodes
agrégé
Entre 10 et 50 % ... du PIB
Nadiri-Kim (1996 b ) 7 pays
1964-1991
Entre 3 et 13 % (R & D propre)
Entre 2 et 19 % (R & D étrangère)
... PTF
Mohnen (1992 a ) Canada
1965-1982
agrégé
4 % (R & D propre)
3 % (R & D étrangère)
... PTF
Bernstein-Yan (1996) Canada, Japon
10 secteurs
1962-1988
Entre 3 et 100 %
(R & D du Japon)
Entre 21 et 100 %
(R & D du Canada)
... PTF
incluant externalités domestiques
et internationales
Bernstein-Mohnen
(1998)
Canada-États-Unis
agrégé
1962-1988
45 %
(R & D des États-Unis au Japon)
0 % (R & D du Japon aux États-Unis)
... PTF

En prenant des estimations raisonnables de l'élasticité de la production à la R & D et de la croissance du stock de R & D, Griliches (1994) calcule que le stock de R & D pourrait expliquer environ 50 % de la croissance de la productivité du travail et 75 % de la croissance de la productivité totale des facteurs (PTF). Si on suppose que la croissance du produit intérieur brut (PIB) est expliquée à 50 % par la croissance de la PTF, ces estimations grossières de Griliches (1994) concordent avec les résultats de Joly (1993). Si on part de l'hypothèse que la R & D a un taux de rendement normal, sa contribution à la croissance est faible étant donné sa faible part dans le coût total. Elle se chiffre quelque part entre 3 et 13 % si on prend les estimations de Mohnen (1992 a) et Nadiri et Kim (1996 b). La recherche étrangère explique presque autant de la croissance que la recherche domestique. La contribution de la R & D à la croissance augmente si on estime le taux de rendement de la R & D, car il se situe généralement au-delà du taux de rendement normal. La R & D domestique propre au secteur, la R & D domestique des autres secteurs et la R & D étrangère expliquent à leur trois entre 3 et 100 %, suivant les secteurs, de la croissance de la PTF dans l'étude de Bernstein et Yan (1996). (...)

Bibliographie


( 1) Un autre indicateur technologique parfois utilisé sont les paiements technologiques à l'étranger. Nous en reparlerons quand nous aborderons les externalités internationales de la recherche.

Problèmes économiques, n° 2645 (22/12/1999)
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Auteurs : Pierre Mohnen (université du Québec, Montréal), Jacques Mairesse (Crest et NBER).
Article original : " Innovation et croissance, innovation et performances. "La cinquième section intitulée :" Apport des enquêtes innovation ", la conclusion ainsi que les annexes ne sont pas reproduites.
Source : SESSI - Chiffres clés," Innovation et croissance, innovation et performances ", édition 1999 ; Service des études et des statistiques industrielles, Direction générale de l'industrie, des technologies de l'information et des postes, secrétariat d'État à l'Industrie, ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industries, 20, avenue de Ségur, 75353 Paris 07 SP ; tél. 01 43 19 36 36 ; internet : www.industrie.gouv.fr