Progrès technique, productivité et changements structurels

Sommaire

L'émergence d'une économie fondée sur le savoir
L'évolution générale de la croissance et de la productivité
La diffusion de la technologie

L'émergence d'une économie fondée sur le savoir

(...) La technologie a joué un rôle déterminant dans l'évolution structurelle à long terme des économies de marché, au même titre que les échanges internationaux et l'ouverture des marchés. Les écarts entre les rythmes du progrès technique des différents secteurs ont suscité d'importantes divergences dans les évolutions sectorielles de la croissance, des prix et de la qualité, d'où des transformations structurelles incessantes dans la demande et l'offre de produits anciens et nouveaux. Les transferts d'emplois observés, d'abord entre l'agriculture et les industries manufacturières, puis entre ces dernières et les services sont une manifestation particulièrement frappante de ce phénomène.

La théorie de la croissance a toujours reconnu le rôle du progrès technique. En son absence, il ne saurait y avoir d'accumulation durable du capital - par suite de la diminution de sa productivité marginale - et, à l'équilibre, le taux de croissance de la production par habitant tendrait vers zéro. C'est l'invention de nouvelles machines et de nouveaux biens intermédiaires qui ouvre des possibilités d'investissement. Il n'en reste pas moins que si l'incorporation de la technologie dans le capital physique est une notion comprise depuis bien longtemps, ce n'est que depuis peu qu'est également reconnue son incorporation dans le capital humain. Il ne fait cependant guère de doute que les compétences humaines sont indispensables à l'utilisation, l'adaptation et l'entretien des nouvelles technologies incorporées dans le capital physique. Le capital humain et la technologie sont deux facettes du même phénomène, deux aspects indissociables de l'accumulation de connaissances.

De nos jours, le savoir sous toutes ses formes joue un rôle capital dans le fonctionnement de l'économie. Les nations qui exploitent et gèrent efficacement leur capital de connaissances sont celles qui affichent les meilleures performances. Les entreprises qui possèdent plus de connaissances obtiennent systématiquement de meilleurs résultats. Les personnes les plus instruites s'adjugent les emplois les mieux rémunérés. Ce rôle stratégique du savoir explique l'accroissement de l'investissement dans la recherche et le développement (R & D), dans la formation et l'enseignement, ainsi que des autres investissements immatériels qui, dans la plupart des pays, se sont développés plus rapidement que les investissements dans le capital physique au cours des dernières décennies. Dans leur action, les pouvoirs publics doivent donc mettre l'accent sur le renforcement de la capacité d'innovation, de création et d'utilisation des connaissances de nos économies. Le changement technique résulte des efforts d'innovation, notamment des investissements immatériels, tels que la R & D, et ouvre des opportunités d'investissement ultérieur dans les capacités de production. C'est pourquoi, à terme, il est générateur d'emplois et d'accroissement des revenus. L'une des tâches essentielles des pouvoirs publics est de mettre en place des conditions qui incitent les entreprises à engager les investissements et les efforts d'innovation indispensables à la poursuite du progrès technique.

Le changement technique affecte depuis toujours le processus d'accumulation du capital, physique et humain, mais l'apparition des nouvelles technologies de l'information et des communications (TIC) a profondément modifié la portée et la nature même du processus d'accumulation des connaissances. A de nombreux égards, l'économie fondée sur le savoir repose sur une utilisation de plus en plus intensive des TIC. Si la " révolution " des TIC ne peut être identifiée à l'avènement de l'économie fondée sur le savoir, les deux sont néanmoins étroitement liées.

Les TIC facilitent la " codification " des connaissances, c'est-à-dire leur transformation en informations aisément transmissibles. Il en résulte une réduction de certains des coûts de l'acquisition des connaissances, du fait de la baisse spectaculaire du coût des fonctions les plus " logistiques " (transport et transfert, reproduction, stockage, et même accès et recherche). D'une manière générale, la codification diminue le coût de la diffusion de la technologie. Par ailleurs, grâce à elle, le savoir acquiert de plus en plus les propriétés d'un bien. Les transactions marchandes sont facilitées puisque une fois les connaissances codifiées, il devient possible d'en déterminer plus précisément le contenu en termes de propriété intellectuelle, ce qui réduit les incertitudes et les asymétries d'information dans les transactions où des connaissances entrent en jeu. Enfin, les TIC et la codification concourent à l'externalisation des connaissances en permettant aux entreprises d'acquérir, pour le même prix, davantage de connaissances ; autrement dit, dans un certain sens, elles abaissent le coût de l'apprentissage. (...)

L'évolution générale de la croissance et de la productivité

Malgré l'enrichissement de la base de connaissances des économies de l'OCDE, dont témoigne notamment le sensible accroissement des investissements immatériels, tels que les dépenses de R & D, et malgré l'apparition et la large diffusion des nouvelles technologies de l'information et de la communication au fil des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, la croissance de la productivité au niveau agrégé a été, dans les pays de l'OCDE, plus faible au cours des deux dernières décennies que durant les années soixante et le début des années soixante-dix. Ce phénomène de décélération a été baptisé " paradoxe de la productivité ". (...)

Diverses explications de ce " paradoxe de la productivité " ont été proposées. L'une met l'accent sur les problèmes de mesure associés à la place grandissante des services, et en particulier des biens et services fondés sur la connaissance et l'information. Les indices de prix ne rendent généralement pas pleinement compte des nouveaux biens et services, ni des améliorations de qualité qu'ils incorporent. Qui plus est, il n'existe aucune mesure directe de la production de connaissances et d'actifs immatériels. Les indicateurs de R & D par exemple, ou de la formation, reflètent le coût, et non la valeur du produit, de ces activités. Sans compter que les investissements dans l'innovation et le savoir, notamment pour actualiser les équipements et assurer des formations en cours d'emploi, sont souvent assimilés à des coûts de production. Les retombées à terme de ces investissements, en particulier leur incidence sur la capacité d'apprendre (laquelle est un actif pour l'entreprise), ne sont pas prises en compte dans la valeur présente de la production de l'entreprise, ni considérées comme une production dans les statistiques.

Une deuxième explication est que, pour parvenir à utiliser efficacement une technologie radicalement nouvelle, il faut du temps et un effort délibéré. Un puissant ordinateur ne suffit pas, par sa seule présence, à améliorer la productivité. Il faut également disposer des technologies complémentaires (en l'occurrence les logiciels), former les travailleurs, et parfois aussi les clients et les fournisseurs, et revoir l'organisation de l'entreprise. On reviendra plus loin sur les adaptations qu'ont opérées les entreprises afin de mieux assimiler les nouvelles technologies et d'en retirer des gains de productivité. Toute incertitude quant à l'orientation que doivent prendre les investissements allonge d'autant la durée de ce processus d'adaptation. Parvenir à maîtriser une technologie radicalement nouvelle exige du temps, comme en témoigne l'exemple de la dynamo à la fin du XIXe siècle.

Une troisième explication, enfin, fait intervenir le changement de nature de la R & D et de l'innovation. L'idée est que l'effort d'innovation porte désormais davantage sur la différenciation des produits, l'amélioration de la qualité, la réduction des délais de commercialisation des innovations et la production en flux tendus. Ce déplacement des activités d'innovation va à l'encontre d'un accroissement de la productivité de l'ensemble de l'économie, puisqu'il conduit surtout à un accroissement marginal et très localisé des connaissances, dont les dividendes appropriables sont élevés, mais qui ne se traduit pas nécessairement en accroissement significatif à long terme de la productivité ou en produits radicalement nouveaux. (...)

La diffusion de la technologie

Dans leur transition vers l'économie fondée sur le savoir, tous les pays de l'OCDE ont connu d'importantes mutations structurelles. Les écarts dans les rythmes d'accumulation des connaissances des différents secteurs et entreprises ont provoqué de grandes divergences dans les évolutions sectorielles de la croissance de la production et de la productivité, des salaires et des profits, ainsi que du prix et de la qualité des produits, d'où des déplacements incessants de main-d'oeuvre entre entreprises et secteurs. Cet ajustement structurel continu a toujours été une caractéristique des économies de la zone de l'OCDE mais on a la nette impression qu'avec la libéralisation de plus en plus poussée des échanges mondiaux et des mouvements internationaux de capitaux, et avec la mondialisation grandissante du progrès technique induit par les TIC, le rythme et la portée des changements structurels se sont accrus depuis quelque temps.

La modification du profil d'évolution de la productivité et de l'emploi au niveau des entreprises et des secteurs, aussi bien dans l'industrie manufacturière que dans les services, est un des éléments qui met le plus clairement en évidence l'existence de changements structurels. Au niveau des entreprises, les données récentes relatives à plusieurs pays montrent un schéma typique d'expansion des établissements ayant une productivité élevée, et de contraction des établissements du même secteur ayant une faible productivité. Les entreprises les plus " performantes ", c'est-à-dire celles qui sont plus innovantes et/ou utilisent des technologies plus avancées ont connu une croissance de la productivité et de l'emploi supérieure à la moyenne. De plus, elles emploient généralement des personnes ayant un niveau d'instruction plus élevé.

Au niveau sectoriel, il s'est opéré dans les pays de l'OCDE un déplacement, de la valeur ajoutée comme de l'emploi, de l'industrie vers les services. Et à l'intérieur du secteur industriel, la part des industries de haute technologie s'est fortement accrue. Ces dernières - qui sont définies par leur relativement forte intensité de R & D - ont affiché non seulement d'importants gains de productivité mais également des gains d'emploi, alors même que celui-ci était en régression dans l'ensemble du secteur manufacturier. Dans les industries de faible technologie, au contraire, la progression de la productivité a été inférieure à la moyenne et les pertes d'emploi plus prononcées que dans l'ensemble du secteur manufacturier. Des pertes d'emplois sont néanmoins aussi observées dans les industries de haute technologie depuis le début des années quatre-vingt-dix.

La R & D et le progrès technique ne sont bien évidemment pas les seules sources de gains de productivité. Dans des pans entiers de l'économie, c'est avant tout la diffusion de la technologie qui contribue à la valorisation du potentiel économique des nouvelles technologies. L'achat d'équipements de pointe et la maîtrise de leur utilisation constituent souvent le principal moyen d'élever le niveau technologique, et il semblerait que cette forme d'acquisition du savoir-faire technologique gagne en importance, en particulier dans les services. Autrement dit, d'un côté, les TIC ne semblent guère avoir de retombées au niveau macroéconomique, ce qui a de quoi surprendre, mais, d'un autre, au niveau sectoriel, la croissance de la productivité paraît étroitement liée à la diffusion de la technologie, et en particulier à l'application des TIC. Cette réalité se vérifie aussi bien dans les industries manufacturières que dans les services. Dans de nombreux secteurs des services - finance, assurance, immobilier, commerce de gros et de détail, communications et services aux entreprises - la productivité est largement tributaire des TIC " acquises ". Les services paraissent donc jouer un rôle essentiel, à la fois en tant que principale source d'emploi et en tant que principaux utilisateurs des nouvelles TIC.

La diffusion de la technologie transcende les frontières nationales. Les retombées internationales de la technologie constituent désormais un important moteur de croissance de la productivité dans la plupart des pays de l'OCDE. Du fait de l'intensification des courants internationaux d'échange et d'investissement, et des incidences de plus en plus globales des TIC, ces retombées commencent à jouer un plus grand rôle dans la croissance sectorielle de la productivité.

La diffusion des connaissances et des technologies incorporées, et la réaffectation structurelle des ressources entre entreprises et secteurs, constituent les deux principaux vecteurs par lesquels le progrès technique conduit à des gains de productivité et à une expansion de l'emploi. La flexibilité des marchés de produits et de facteurs est une condition indispensable au bon fonctionnement de ces mécanismes et il revient aux gouvernements de développer et rendre plus opérants les canaux publics de diffusion des connaissances. (...)

Problèmes économiques, n° 2565 (22/04/1998)
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Source : OCDE, " Technologie, productivité et création d'emplois ", 1996, extrait