Conférence du 29 octobre 2001 – Lille

Etat providence et mondialisation

Intervenants :

Michel Aglietta (professeur à Paris Nanterre)

Michel Vasseur (président CMNord ancien ministre de l’agriculture, ancien député européen)

Question : Etat providence et mondialisation n’est ce pas deux termes fondamentalement opposés ?

Michel Aglietta :

C’est en tout cas contradictoire.

Le capitalisme est une dynamique d’accumulation sans régulation sociale a priori.

Mais il a besoin d’énormes infrastructures pour fonctionner, qu’il ne paye pas.

Infrastructures matérielles, mais de plus en plus infrastructures immatérielles (cadre juridique, éducation et formation, citoyenneté et solidarité dans la société pour assurer la stabilité).

Ce sont en faits des biens collectifs non marchands qui sont fournis par des institutions qui sont largement locales (nationales).

C’est pourquoi le Kisme n’est pas homogène, il y a des formes nationales du Kisme.

On peut grosso modo distinguer trois types de Kisme :

  1. Le Kisme de concurrence à l’américaine :
  2. Valeurs : initiative individuelle et possibilité de promotion sociale

    Institution : une régulation macro économique (budgétaire et monétaire), qui doit assurer le plein emploi afin de faire apparaître le chômage comme une étape et non un état. Le Kisme à l’américaine ne supporte pas de longues périodes de sous emploi.

  3. Le Kisme social démocrate à la hollandaise ou la scandinave :
  4. Valeurs : équité sociale et solidarité

    Institution : Un Etat redistributeur qui stabilise l’emploi

  5. Le Kisme corporatif (appelé par Michel Albert rhénan) le nôtre :
  • Valeurs : intégration sociale par l’entreprise

    Institutions : un Etat contributif qui assure la connexion entre l’entreprise et la société.

  • C’est ce troisième modèle qui est le plus menacé par la mondialisation car elle exige mobilité, flexibilité et produit l’exclusion.

    Question : La globalisation financière n’est ce pas une preuve de la victoire des marchés sur les Etats ?

    Michel Vasseur :

    Deux faits majeurs ont tout modifié depuis une bonne dizaine d’année.

    1. Novembre 1989 la fin du bloc de l’Est a laissé le Kisme face à lui-même
    2. Avec les NTIC tout circule à la vitesse grand V, en particulier les capitaux.

    Les conditions sont réunies pour que le Kisme se financiarise pour que les marchés dominent les Etats.

    Conséquences : accroissement des inégalités (partout) qui entraîne la multiplication des conflits.

    Les Etats sont plus nécessaires que jamais !

    Michel Aglietta :

    La finance est vraiment la seule sphère économique vraiment globalisée, c’est bien ça le problème.

    La finance est globalisée mais le monde n’est pas intégré, les monnaies sont multiples, les Etats sont multiples. L’action internationale est nécessairement inter étatique et non fédéralo-mondiale, donc lente et en retard.

    Le problème est l’instabilité de la finance donc l’utilisation qui est faite de la globalisation financière plus que la globalisation financière elle-même.

    Le monde du XXIème siècle a un potentiel formidable de croissance si le capital s’échange dans le bon sens.

    Il y a deux groupes de pays l’un vieillissant qui dispose du capital et de la technologie, l’autre qui possède le potentiel humain et d’énormes besoins. Il y a donc une possibilité d’échange inter temporel du capital qui pourrait amener la croissance potentielle du monde à 5% au lieu de 2% actuellement.

    Pour cela il faut des transferts de capital portant le progrès technique là où il manque, il faut plus d’IDE vers plus de pays et non vers 5 ou 6 pays émergents qui captent l’essentiel des flux.

    Pour le moment ce sont les investissements de portefeuille et les placements à court terme spéculatifs qui dominent les marchés générant l’instabilité. Il y a donc maintien de la pauvreté par défaut d’investissements directs dans les pays pauvres.

    Il y a nécessité d’une régulation vers plus de développement et plus d’ouverture.

    Question : Qui doit réguler ? les Etats, le G7, le FMI

    Michel Aglietta :

    Le G7, ce sont des Etats ! Un club d’états ! Le FMI une filiale des même états !

    Le besoin d’institutions internationales spécialisées se fait de plus en plus jour, il y émergence de biens collectifs globaux dans de nombreux domaines l’environnement, la santé, le crime…

    Le problème de l’OMC aujourd’hui c’est sa compétence limitée au commerce mais il y a interférence avec d’autres sujets pour lesquels il n’y a pas d’institution internationale mais des traitements nationaux.

    Le G7 n’est plus légitime pour les problèmes du monde, car il exclut trop de pays de coopération.

    Il y a problème de leadership international des intérêts divergents entre au moins trois groupes : Les Etats unis, l’Union européenne, et les grandes puissances émergentes de demain (Chine, Inde en particulier).

    Il y a un réel vide au niveau du leadership mondial.

    Michel Vasseur :

    Les outils existent au sein de l’ONU, mais il n’y a aucun moyen de contraindre les Etats à adopter les résolutions.

    Les Français assimilent l’OMC au libre échange, d’où leur vient cette idée ? Au contraire l’OMC c’est la régulation, la protection contre le libre échange et ses abus (confer ORD), ce sont les Européens qui l’ont arrachée, les Américains n’en voulaient pas !

    Pourquoi les trois derniers échecs (AMI, Seattle et Kyoto), car il y a profond désaccord entre EUA, UE et le groupe des 77 PED sur l’agriculture (aide, sécurité alimentaire, ogm), sur les normes sociales et enfin l’environnement.

    Question : Ne faudrait-il pas alors parler de Monde providence ou d’Europe providence ?

    Michel Aglietta :

    C’est deux choses différentes, deux niveaux.

    Au niveau Mondial, le problème est le déséquilibre croissant dans la répartition de la richesse, il faut des transferts massifs porteurs de progrès technique, mais la faiblesse de la plus part des états dans les pays pauvres entraîne une déperdition de l’aide et des capitaux (corruption en particulier).

    Au niveau européen, c’est différent il faut une adaptation, un redéploiement des systèmes de protection pour assurer sécurité collective et progrès social (les valeurs spécifiques auxquelles tiennent les Européens). Les marchés n’empêchent pas des politiques structurelles d’adaptation pour maintenir ces valeurs.

    Aux EUA, le libéralisme nécessite le plein emploi pour faire croire à la possibilité de promotion sociale.

    En Europe nous avons une idéologie conservatrice bancale qui empêche les forces de vie de l’Europe de se développer. Pacte de stabilité, faible inflation (2%) des dogmes qui génère croissance lente, faible productivité et donc insuffisance de compétitivité.

    Michel Vasseur :

    Il faudrait revenir à la vrai subsidiarité que tout le monde a oublié, afin de faire l’Europe du bas vers le haut et non l’inverse !

    Question : En Europe, un équilibre entre compétitivité et protection sociale est-il possible ?

    Michel Aglietta :

    J’irai plus loin, il faut appuyer la compétitivité sur le social. Qu’est qui permet d’affirmer cela ?

    Les expériences très différentes de lutte contre le sous emploi en Europe, à la lumière des ces expériences on peut proposer trois axes de réformes structurelles pour l’Europe et en particulier la France.

    1. Instaurer la " flexi sécurité ", c à d une compatibilité entre la flexibilité indispensable dans le contexte de globalisation et la sécurité à laquelle les Européens sont attachés.
    2. Comment, en réformant le droit du travail. Avec l’entreprise réseau, il y a un éclatement des statuts, la norme du " bon emploi " bien protégé, bien rémunéré à voler en éclat avec le travail précaire, créant une grande disparité et une grande peur. Il faut désormais lier les droits aux personnes et non plus aux emplois, il faudrait parler de " droits de tirage sociaux ".

      Il ne faut pas comme dans le monde anglo saxon diluer le droit du travail dans le droit marchand.

    3. Flexibiliser la formation sur toute une vie.
    4. En France nous en sommes au degré zéro, en Suède 25% de la formation concerne des actifs. Il faut raisonner en budget temps de formation afin que le capital humain soit capable de se renouveler, de s’adapter. Il faut bien entendu que le système de formation suive et soit capable d’accueillir à tout moment les individus en besoin de formation.
    5. Rééquilibrer le pouvoir dans l’entreprise, redonner la capacité aux salariés de faire valoir des objectifs.
  • Aujourd’hui par l’absence de pouvoir, l’inadaptation des syndicats l’emploi est devenu une variable résiduelle dans l’entreprise. L’entreprise est un corps intermédiaire fondamental qui doit un lieu de codétermination capable de médiatiser les intérêts divergents.

    L’exemple des Pays Bas est intéressant, le contrat social instaurant la flexi sécurité a permis de renforcer le dialogue social et la négociation collective sur les bases d’une confiance renouveler entre les salariés, l’entreprise et l’état.

    L’entreprise doit absolument posséder une structure forte de dialogue.

    On pourrait aussi jouer sur l’actionnariat salarié, de deux manières différentes : soit comme un simple instrument de flexibilité salariale, soit comme un élément de pouvoir financier des salariés dans les décisions.

  • Michel Vasseur :

    Je ferai deux réponses l’une éthique, l’autre cynique.

    Ethique : l’entreprise est-elle une fin ou un moyen ? Moyen de satisfaire ses clients, ses salariés et ses actionnaires.

    Comment apprécier la performance ? Seule une appréciation globale de la performance est stabilisante. La politique reste donc nécessaire.

    Cynique : seule la performance financière compte ! On risque de déstabiliser le social et alors tout peut se produire y compris le pire.

    Tentative pirate de conclure le débat par Michel Vasseur !

    Dans les sociétés développées où l’on a tout, on a peur de tout (vache folle, anthrax….)

    " On ne meurt pas pour le marché, mais on meurt pour Dieu ou pour la Nation surtout quand on a rien à perdre puisque l’on est pauvre. "

    Dans nos sociétés émergent des nouvelles demandes, une nouvelle citoyenneté (ONG, commerce équitable, agriculture biologique…) n’est-ce pas un signe que les entreprises doivent intégrer et ne plus seulement penser aux ratios de performance financière.

    Tentative réussie ! ! ! ! 

    Question de la salle, une seule intéressante sur l’intérêt de la Taxe Tobin.

    Michel Aglietta :

    Freiner la volatilité peut être mais n’empêchera pas les crises. Ce sont celles ci qui pose le problème du développement aujourd’hui.

    Je suis partisan d’un contrôle des changes pour les pays émergents car leurs systèmes financiers sont fragiles, ceci pour deux raisons : 1) le rapport flux entrants - masse monétaire interne doit être contrôler pour permettre une politique monétaire autonome ; 2) pour la prudence car ces capitaux déstabilisent les institutions financières locales et multiplient les risques.

    L’Etat est souvent cause de cette instabilité et de cette fragilité des pays émergents, soit par carence de règles, les IDE ne sont alors pas surs, les financements par endettement sont la seule solution et ouvrent la voie à la spéculation (ex la Russie) ; soit par la force de l’Etat qui délibérément recours à l’endettement refuser les IDE.

    La Chine paraît aujourd’hui le pays qui a le mieux compris la nécessité d’IDE systématiquement porteur de technologie, c’est aussi la Chine qui draine l’essentiel des financements en direction des pays émergents.