La politique conjoncturelle : illusion et désillusion des économistes.

Questions :

Le modèle IS/LM : Un keynésianisme hydraulique, fondement des politiques budgétaires et monétaires des pouvoirs publics.

Le célèbre modèle IS/LM est proposé dès 1937 par John Hicks comme son interprétation de la "Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie" publiée par John Meynard Keynes en 1936. Le succès de ce modèle résulte de trois éléments : 1) son impact pédagogique, c'est un modèle "élégant", 2) son cadre conceptuel qui permet apprécier l'efficacité des politiques conjoncturelles, 3) sa capacité d'accepter des modifications substantielles qui élargissent sa capacité explicative (ex : L'introduction de l'effet richesse dans la fonction de consommation).

L'esprit du modèle IS/LM est keynésien, il détermine le niveau de la demande effective qui conduit à l'équilibre de court terme. La méthode du modèle est néo classique, c'est une approche en terme d'interdépendance entre tous les marchés qui conduit à un équilibre général.

Fidèle à la pensée keynésienne qui rompt avec la dichotomie néo classique, il intègre de façon formelle et compacte les facteurs réels et monétaires qui déterminent l'équilibre macro économique keynésien. Pour Keynes, l'équilibre économique est réalisé lorsque les revenus distribués sont égaux aux revenus dépensés, c'est à dire quand le niveau de la demande anticipée par les entreprises correspond à la dépense des agents économiques. La condition de l'équilibre keynésien en économie fermée est que l'épargne (S) soit égale à l'investissement (I).

Le modèle IS/LM de base.

L'intégration du réel et du monétaire est effectuée grâce à la division conceptuelle de l'économie en deux marchés : le marché des biens et le marché de la monnaie. La liaison entre les deux marchés passe par le jeu des variables d'ajustement. Sur chaque marché existe une variable clé d'ajustement qui est en même temps variable explicative sur l'autre marché. En effet, le revenu (Y) est déterminé par le marché des produits mais est également une variable explicative essentielle du marché de la monnaie. Le taux d'intérêt (r) est déterminé par le marché de la monnaie mais est en même temps une variable explicative essentielle du marché des biens. Chaque variable possède un double statut variable d'ajustement et variable explicative, lorsque les deux marchés sont traités simultanément Y et r deviennent les deux variables d'ajustement qui déterminent l'équilibre I = S.

La perspective d'analyse est la fixation du niveau de la demande à court terme, les prix sont donc considérés comme fixes et donnés (par convention, le niveau général des prix (P) est égal à 1). On raisonne donc indifféremment en termes réels ou en termes nominaux.

L'équilibre du marché des biens.

L'équilibre du marché des biens est réalisé lorsque les revenus distribués sont intégralement dépensés par les agents économiques.

Y = C + I

C + S = C + I

D'où la condition d'équilibre : I = S

Chez Keynes, l'épargne est une fonction croissante du revenu, la propension marginale à épargner (s = D S/D Y) est le paramètre de cette fonction. La forme générale de la fonction d'épargne sera notée :

S = s ( Y ) avec s ' > 0

L'investissement est une fonction décroissante du taux d'intérêt, on notera sa forme générale :

I = i ( r ) avec i ' < 0

A l'équilibre si I = S, on a i ( r ) = s ( Y ), une seule équation pour deux variables. Il y a donc une infinité de couples ( Y, r ) qui satisfont l'égalité de I et de S. On peut écrire r en fonction de Y, r = f ( Y ) avec f ' < 0. Cette fonction est la relation IS qui donne l'ensemble des couples ( r, Y ) réalisant l'équilibre du marché des biens, graphiquement la relation se représente comme suit :


L'équilibre du marché de la monnaie.

Chez Keynes, le taux d'intérêt (r) est le prix du renoncement à la liquidité, c'est à dire à la monnaie qui à la propriété unique de liquidité immédiate, et à ce titre possède une utilité propre différente des biens qu'elle permet d'acheter. La monnaie n'est pas neutre, car son utilité n'est pas confondue avec celle des biens comme chez les néoclassiques. Le taux d'intérêt (r) est une variable monétaire qui intervient dans une décision réelle le niveau de l'investissement (I).

L'équilibre du marché de la monnaie est obtenu quand l'offre de monnaie est égale à la demande de monnaie L'offre de monnaie (Mo) est exogène, elle dépend des décisions des autorités monétaires qui contrôlent son émission. La demande de monnaie (Ld), appelée par Keynes la préférence pour la liquidité, est liée à trois motifs : le motif de transaction, le motif de transaction et le motif de spéculation. Les motifs de transaction et de précaution sont une fonction croissante du revenu, la forme générale sera : L1 = l1(Y) avec L1' > 0.

Le motif de spéculation dépend de l'anticipation sur la variation du taux d'intérêt (r), si les spéculateurs pensent que le taux d'intérêt va baisser, ils achètent des titres contre de la monnaie car ils ont des perspectives de plus values. Inversement s'ils pensent que les taux d'intérêt vont monter, ils n'achètent pas de titres et conservent leurs liquidités, car ils ont des perspectives de moins values sur les titres. Par conséquent la demande de liquidités à des fins de spéculations (L2) une fonction décroissante du taux d'intérêt (r) bornée par rmax où L2 = 0 et rmin où L2 = maximum, la forme générale s'écrit : L2 = l2 (r) avec L2' < 0.

L'équilibre du marché de la monnaie s'écrit donc :

Mo = l1(Y) + l2 (r)

A nouveau nous avons une équation pour deux inconnus, il existe donc une infinité de couple (Y, r) qui égalise l'offre et la demande de monnaie. On peut exprimer r comme une fonction croissante de Y r = g (Y) avec g' > 0 entre rmin et rmax, pour r > rmax Y = Y2, pour r < rmin le revenu est infiniment élastique au taux d'intérêt (r). Cette fonction est la relation LM qui donne l'ensemble des couples (Y, r) qui équilibrent le marché de la monnaie, graphiquement la relation se représente comme suit :




La partie verticale de LM est appelée partie néoclassique car le taux d'intérêt n'intervient pas dans la demande monnaie (cette dernière est inélastique au taux d'intérêt qui est une variable réelle chez le NC.). La partie horizontale de LM correspond à la trappe à la liquidité keynésienne, les taux d'intérêt trop bas entraînent la thésaurisation de la totalité de l'encaisse de spéculation, qui est alors "oisive".

L'équilibre simultané des deux marchés fixe le niveau de la demande globale.

L'équilibre simultané sur les deux marchés implique l'égalisation des deux courbes IS et LM. Nous avons maintenant deux équations et deux inconnues, le système à une solution est une seule qui donne le niveau de la demande globale Ye pour le taux d'intérêt re. Graphiquement l'équilibre se représente comme suit :



Selon la théorie keynésienne ce niveau de demande globale n'assure pas nécessairement le plein emploi, car l'emploi est la résultante de la demande anticipée par les entreprises. Cette demande peut être insuffisante pour déterminer des plans de production utilisant toute la population active disponible. Le revenu de plein emploi peut se représenter par une droite verticale Ype qui serait le niveau de demande globale permettant le plein emploi de la main d'œuvre par les entreprises. Le sous emploi est représenté par la distance entre Ye et Ype.

Dès lors, la question posée aux pouvoirs publics est de parvenir à modifier le niveau de la demande globale Ye afin de le rapprocher de la limite de plein emploi Ype. Graphiquement la solution consiste à déplacer IS vers le haut et la droite ou LM vers le bas et la droite (ou les deux à la fois). Il convient d'examiner comment ces courbes peuvent être amenées à se déplacer.

La modification de l'équilibre à la recherche de la demande de plein emploi.

Le déplacement de IS : la politique budgétaire.

IS représente l'équilibre sur le marché des biens et des services qui résulte de l'anticipation de la demande par les entreprises. S'il y a sous emploi, c'est que la demande effective est insuffisante. Comme le dit Keynes l'équilibre de sous emploi est stable, il n'y a pas de raison pour les entreprises produisent et investissent soudainement plus si elles ne perçoivent pas de débouchés supplémentaires : "On ne fait pas boire l'âne qui n'a pas soif !". Il convient donc de faire augmenter les dépenses pour pousser les entreprises à produire et à investir davantage. Il n'y a aucune raison pour que les dépenses privées s'accroissent spontanément lorsque l'économie est en équilibre de sous emploi, les pouvoirs publics sont les seuls à pouvoir provoquer un déséquilibre favorable à la dépense.

L'Etat par le budget peut soit dépenser davantage par des dépenses directes en particulier des investissements publics (G), soit par des incitations à la dépenses en direction des consommateurs par des réductions d'impôts (T) ou des prestations issues de la redistribution (R), c'est à dire en augmentant le revenu disponible des consommateurs (Yd). Dans les deux cas, la politique budgétaire cherche à mettre en œuvre le mécanisme du multiplicateur keynésien. On démontre que l'effet multiplicateur des investissements publics est plus fort que celui suscité par l'accroissement du revenu disponible des ménages (1/s contre c/s). Si le budget est en équilibre, ces mesures créent un déficit public, qui doit être comblé ex-post par le supplément de revenu engendré par l'effet multiplicateur qui génère un supplément d'épargne égal au supplément de dépenses initiales. Le déficit est donc temporaire, si la relance de la dépense est efficace. Si les pouvoirs publics veulent conserver l'équilibre du budget, le théorème d'Haavelmo montre que le supplément de revenu est égal au supplément de dépenses (le multiplicateur est égal à 1). Il apparaît que dans tous les cas un supplément de dépenses publiques (D G) entraîne un accroissement du revenu (D Y).




Ce nouvel équilibre obtenu par le déplacement de IS suite à une politique budgétaire expansionniste appelle quelques remarques. Le supplément de dépenses publiques (D G) actionne le mécanisme du multiplicateur, le supplément de revenu total dans le circuit économique devrait donc être de D Y'=1/s´ D G, correspondant à la distance entre Y0 et Y'1. Mais le modèle fait apparaître une élévation du revenu (D Y=Y1-Y0) inférieure, l'effet multiplicateur est donc contrarié par l'augmentation du taux d'intérêt d'équilibre (de r0 à r1), ceci illustre l'effet d'éviction par le taux d'intérêt. En effet, à quantité de monnaie inchangée, l'accroissement de la dépense entraîne une augmentation de la demande d'encaisse de transaction, pour que celle ci puisse augmenter, il faut que celle de spéculation diminue donc que le taux d'intérêt augmente. La demande privée d'investissement sensible au taux d'intérêt se réduit ce qui compense plus ou moins partiellement l'augmentation de la dépense publique.

En augmentant leur demande d'encaisse pour financer leurs dépenses les pouvoirs publics exercent une pression sur le marché de la monnaie qui fait croître le taux d'intérêt, augmentation qui décourage une partie de l'investissement privé en dépit d'une demande globale croissante. Pour éviter cet effet d'éviction et donner à la politique budgétaire sa pleine efficacité, il faudrait que le taux d'intérêt se maintiennent à r0. Graphiquement cela correspond à un déplacement de LM vers le bas et la droite, ce que nous allons examiner maintenant.

Le déplacement de LM : la politique monétaire.

L'augmentation du taux d'intérêt provient de la rareté croissante de la monnaie lorsque le revenu est amené à croître. En effet la demande de liquidité étant la somme de la demande d'encaisse de transaction et de précaution et de la demande de spéculation, à offre de monnaie inchangée l'une ne peut augmenter sans que l'autre ne diminue. Comme le taux d'intérêt (le prix du renoncement à la liquidité) est la variable d'ajustement du marché de la monnaie, il augmentera chaque fois que la demande de monnaie sera supérieure à l'offre de monnaie. La demande de monnaie est liée aux comportements qui ne peuvent se modifier à court terme, toute action sur le taux d'intérêt ne peut venir que d'une action sur l'offre qui est considérée comme exogène sous le contrôle des autorités monétaires. Toute augmentation de la quantité de monnaie par la banque centrale augmente les réserves des banques commerciales et induit une croissance de la masse monétaire par le mécanisme du multiplicateur du crédit. La courbe LM se déplace vers le bas et la droite permettant d'obtenir un niveau de revenu plus élevé pour le même taux d'intérêt. Graphiquement l'impact de la politique monétaire se représentera de la façon suivante :

 

 

 

 

 

 

 




Il apparaît que pour donner le maximum d'efficacité à la politique budgétaire (accroissement du revenu de Y0 à Y'1), il est souhaitable l'accompagner d'une politique monétaire expansionniste ( c'est à dire un financement monétaire du déficit public). Comme l'affirmer Keynes "la monnaie est serve", elle doit au service de l'activité et sous contrôle de l'autorité politique.

Le modèle IS/LM permet de voir comment la politique monétaire et la politique budgétaire permettent de manipuler le niveau de demande globale afin d'obtenir un revenu le plus proche de l'équilibre de plein emploi. Les instruments que nous avons examinés dans le sens d'une augmentation de la demande globale peuvent également être utilisés en sens contraire pour freiner la demande afin de limiter les pressions de l'inflation par la demande ou de limiter les importations liées à la croissance en cas de déséquilibre de la balance courante. Cette remarque nous permet d'envisager l'utilité du modèle dans le cas d'une économie ouverte où la contrainte d'équilibre des paiements extérieurs limite la conduite de politiques budgétaire et monétaire à des fins exclusivement interne.

Le modèle IS/LM en économie ouverte (ou IS/LM/BP).

L'introduction des échanges extérieurs dans le modèle de détermination de la demande globale est due à Robert Mundell (1962).

Pour transformer le modèle il convient d'ajouter les échanges extérieurs de biens et services dans le marché des biens. L'équilibre du marché des biens est à alors : C+S+M = C+I+X où X sont les exportations et M les importations, la condition d'équilibre en économie ouverte est donc : S + M = I + X, avec M lié positivement au revenu (Y) et X exogène déterminé par le revenu de nos partenaires commerciaux. La nouvelle courbe IS résultant de la prise en compte des échanges extérieurs de biens et services présente une pente plus horizontale c'est à dire que le revenu est plus sensible aux variations du taux d'intérêt ce qui atténue l'efficacité d'une politique budgétaire expansive. En effet le multiplicateur en économie ouverte 1/(s + m) est moins élevé car la propension marginale à importer constitue une fuite supplémentaire du circuit de la dépense nationale qui s'ajoute à l'épargne.

Cependant l'intérêt du modèle de Mundell est l'introduction d'une équation de l'équilibre extérieur. Partant de l'idée qu'une économie ne peut durablement supporter un déséquilibre extérieur sans ajuster son taux de change ou sa masse monétaire interne. L'équation de l'équilibre extérieur est constituée de la balance des échanges courants et de la balance des mouvements capitaux dont le solde doit être nul. La contrainte extérieure introduite par Mundell consiste donc à considérer que le solde de la balance des paiements globale (comportant l'ensemble des mouvements extérieurs autonome) doit être équilibrée. Tout déséquilibre entraînant des mouvements monétaires compensatoires en cas de changes fixes (la variation de la contrepartie extérieure de la monnaie entraîne en principe une modification identique de la masse monétaire interne) ou une modification du taux de change dans le cas des changes flottants (c'est à dire une variation du terme de l'échange du pays).

La courbe BP représentative de la contrainte extérieure.

La balance courante.

La balance courante comprend les échanges de biens et services. Les exportations (X) dépendent de la demande étrangère qui est donnée à court terme, des prix nationaux (P) et enfin du taux de change (ch) d'une unité monnaie nationale en devises étrangères (taux de change côté au certain).

Les importations (M) sont liées positivement au revenu national (Y), au niveau des prix nationaux (P) et au taux de change (ch).

On notera : X = x (P, ch) avec X'P < 0 et X'ch < 0.

M = m (Y, P, ch ) avec M'Y > 0, M'P > 0 et M'ch > 0.

Si les prix sont fixes à court terme avec P = 1, le solde de la balance courante s'écrira : (X - M) = x (ch ) - m (Y, ch).

La balance des mouvements de capitaux non monétaires (K)

Les mouvements de capitaux internationaux résultent de l'achat et de la vente d'actifs. Selon la théorie du portefeuille vue par Tobin, les agents qui possèdent un certain montant d'avoirs liquides partagent ceux-ci entre monnaie et titres selon le niveau du taux d'intérêt. Par un raisonnement analogue, on peut montrer qu'un agent économique divisera sa détention d'actifs entre actifs nationaux et internationaux selon le niveau du taux d'intérêt intérieur comparer à celui du taux d'intérêt à l'étranger. Pour une situation donnée des taux d'intérêt, il atteindra une distribution d'équilibre de son portefeuille entre actifs nationaux et étrangers. Quel que soit le niveau des actifs, une modification des taux d'intérêt produira une redistribution des actifs, générant des flux de capitaux. Lorsque les actifs totaux augmentent, l'allocation du supplément entre les différents actifs dépendra des niveaux des taux d'intérêt. Donc quand la richesse nationale augmente, les agents nationaux choisissent de détenir la plus grande partie de leur richesse supplémentaire en actifs étrangers plus le niveau des taux d'intérêt étrangers est élevé par rapport au taux d'intérêt national. Inversement les investisseurs étrangers achètent peu d'actifs nationaux lorsque leur richesse croît. Il vient que pour un niveau donné des taux d'intérêt étrangers, le flux net de sorties de capitaux non monétaires (K), c'est à dire les achats nets nationaux d'actifs étrangers (KX) moins les achats nets étrangers d'actifs nationaux (KM), sera une fonction décroissante du taux d'intérêt national (r). On notera :

K = KX - KM = k (r) avec K' < 0. Si les taux d'intérêt nationaux s'élèvent les sorties nettes de capitaux non monétaires diminuent et inversement.

L'équilibre de la balance des paiements globale : la courbe BP.

Le solde de la balance globale (B) résulte de l'addition du solde de la balance courante et de celui des mouvements des capitaux non monétaires, à l'équilibre ce solde doit être égal à 0. C'est à dire que le solde des biens et services soit compensé par les mouvements de capitaux, il s'agit ici d'une vision compensatoire de la balance des paiements (si les échanges courants dégagent un excédent, il faut que les sorties nettes de capitaux soient équivalentes à cet excédent, sinon il y aura variation du taux de change ou de la masse monétaire (ou les deux). [On peut se reporter au chapitre sur le système monétaire international pour une meilleure compréhension.]

On écrira l'équation de l'équilibre extérieur (BP) comme suit :

B = [x (P, ch) - m (Y, P, ch)] - k(r) = 0.

Si à court terme on considère que les prix (P) et le taux de change (ch) sont fixes alors x est connu, l'équation comporte alors deux variables le revenu (Y) et le taux d'intérêt (r), c'est à dire : B = [x - m (Y)] - k(r) = 0. Quand le revenu augmente le solde de la balance courante se détériore, il faut donc que le taux d'intérêt intérieur augmente afin de réduire le sorties nettes de capitaux et maintenir nul le solde de la balance globale. Le taux d'intérêt (r) est une fonction positive du revenu (Y), c'est la relation BP qui donne l'ensemble des couples (r, Y) qui équilibre la balance des paiements globale, graphiquement :

 

 

 

 


 


Au point A, le solde de la balance globale est excédentaire, en effet le taux d'intérêt est trop élevé par rapport au revenu, dans cette situation on pourrait avoir par exemple un excédent de balance courante auquel s'ajoute un excédent des entrées de capitaux sur les sorties. Inversement au point C, le taux d'intérêt est trop bas par rapport au niveau du revenu, la balance globale est alors déficitaire.

Il convient de signaler deux cas particuliers pour la courbe BP.

  1. Les mouvements de capitaux n'existent pas car l'économie nationale est isolée par un contrôle des changes hermétique. La courbe BP est alors verticale car les exportations déterminent le niveau maximum des importations qui corresponde à un niveau de revenu et un seul.
  2. La mobilité des capitaux est parfaite et le pays n'a pas de pouvoir monétaire significatif au niveau international. Le taux d'intérêt national est alors déterminé par l'extérieur. La courbe BP est alors horizontale et indépendante du niveau de revenu, seul une modification du taux d'intérêt étranger peut déplacer BP.

Equilibre interne et équilibre externe : le modèle IS/LM/BP.

La combinaison des trois courbes IS/LM/BP permet d'analyser la situation de l'équilibre interne c'est à dire le niveau de demande globale vis à vis de l'équilibre externe. Soit l'équilibre interne se trouve sur la courbe BP, il y a coïncidence des deux équilibres, soit l'équilibre interne se trouve au-dessus de BP, l'équilibre interne s'accompagne d'un excédent de la balance des paiements globale, soit l'équilibre interne se trouve en dessous de BP, il s'accompagne alors d'un déficit de balance globale. Les situations de déséquilibre de paiements ne peuvent être durables et impliquent des mécanismes de rééquilibrage qui sont différents selon que le régime des taux de change en vigueur.

Le modèle IS/LM/BP en régime de change fixe.

En régime de change fixe, la banque centrale doit intervenir sur le marché des changes pour garder le taux de change dans les limites convenues (ex ± 2.25% dans le SME avant 1993). En excédent, la banque centrale achète des devises contre sa propre monnaie augmentant ainsi la masse monétaire. Il y a donc un déplacement de LM vers le bas qui rapproche l'équilibre interne vers la courbe BP en augmentant le revenu et baissant le taux d'intérêt. En déficit de paiements, la banque centrale rachète sa propre monnaie en utilisant ses réserves de change, cette opération s'accompagne d'une réduction de la masse monétaire qui déplace LM vers le haut et la gauche rapprochant à nouveau l'équilibre interne de la courbe BP, élevant le taux d'intérêt et réduisant le revenu en entraînant une détérioration de l'emploi.

Ces mouvements de la masse monétaire interne qui doivent ramener l'équilibre interne sur l'équilibre interne sont cependant tout à fait théoriques dans les systèmes monétaires modernes (plus de convertibilité interne) car les autorités monétaires ont la possibilité de stériliser la contrepartie externe de la masse monétaire en faisant varier la contrepartie interne (le crédit à l'économie) en sens inverse. La raison qui peut inciter les autorités monétaires à agir ainsi réside dans un équilibre interne satisfaisant en terme de compromis chômage/inflation accepter une expansion de la masse monétaire augmente l'inflation, le contraire dégrade l'emploi.

Il faut alors se poser la question de la politique à conduire pour conserver un équilibre interne satisfaisant entre terme de compromis inflation/chômage tout en conservant la fixité du change.

Adapter l'équilibre externe à l'équilibre interne.


Prenons le cas d'une situation interne satisfaisant mais qui s'accompagne d'un déficit de balance globale. Graphiquement il convient de déplacer BP vers le bas et la droite afin de desserrer la contrainte de change.



Ce déplacement correspond à trois situations de politique vis à vis de la contrainte extérieure :

1) Un renforcement du contrôle des changes, la courbe BP pivote vers la droite (grande flèche). Le contrôle des changes a pour but de rendre les mouvements de capitaux moins sensibles aux variations du taux d'intérêt

2) Une augmentation des tarifs douaniers visant à rendre les prix étrangers plus cher.

3) Une dévaluation de la monnaie nationale, qui se traduit par un renchérissement des importations en monnaie nationale et une baisse des prix des exportations en devises.

Les mesures inverses peuvent être prises en cas d'excédent s'accompagnant d'une situation interne satisfaisante.

Cependant ces mesures visant à reporter la contrainte extérieure afin de ne pas modifier la situation interne restent limitées dans leur utilisation. Le contrôle des changes ne peut être resserrer que de façon ponctuelle, le protectionnisme expose le pays à des représailles commerciales et, est aujourd'hui encadré par les accords commerciaux multilatéraux. Enfin la modification des parités de change déroge à la fixité et peut être considérée comme un abandon de l'objectif de change fixe surtout quand la modification devient répétitive enfermant l'économie dans le cercle vicieux dévaluation - inflation - déficit commercial - dévaluation. Il convient de s'interroger si les politiques budgétaire et monétaire peuvent résoudre ce conflit d'objectifs.

Le dilemme de la politique de la demande.

Comment un pays peut-il s'y prendre pour assurer simultanément son équilibre interne (le bon compromis chômage/inflation), et l'équilibre externe de sa position de paiements extérieurs, lorsqu'il entend maintenir la fixité de son taux de change.

Selon la règle de Tinbergen, si un gouvernement cherche à atteindre un nombre déterminé d'objectifs, il doit disposer d'un nombre équivalent d'instruments de politique économique. Dans la pratique le système de change fixe impose deux grandes tâches à la politique économique (meilleur compromis chômage inflation et équilibre de la balance globale) et ne leur fournit qu'un seul instrument (la manipulation de la demande globale). Quatre combinaisons de situations ont envisageables, pour deux d'entre elles la politique à mettre en œuvre est claire, pour les deux autres il y a incompatibilité d'objectifs.

 

Situation de l'économie intérieure

Situation de la balance globale

Chômage élevé

Inflation rapide

Excédent

Développer la demande globale

????

Déficit

????

Réduire la demande globale

Dans les situations marquées à la fois par un fort chômage et un fort déficit, la réduction du chômage demande un accroissement de la demande globale, mais celle ci conduit à une dégradation de la balance commerciale et le plus souvent de la balance globale. Dans l'autre situation les gouvernements qui s'inquiètent d'une inflation excessive tout en ayant des excédents de paiements se heurtent au dilemme opposé (situation rencontrée par la République fédérale d'Allemagne des trente glorieuses). Toute politique de lutte contre l'inflation réduira la demande globale et augmentera les taux d'intérêt ce qui aura pour effet d'accroître encore l'excédent externe. De plus, on peut penser que même les situations qui paraissent les plus aisées à résoudre peuvent ne pas obtenir de situation. En effet un pays qui connaît inflation et déficit et décide de comprimer sa demande globale ne connaîtra probablement pas une résolution simultanée des deux problèmes, l'un se résoudra avant l'autre exposant le pays à un nouveau dilemme !

Pour sortir du dilemme fondamental posé par la politique de la demande, un pays doit abandonner l'un des objectifs ou ajouter des instruments de politique économique.

A l'évidence la politique plausible consiste à laisser flotter le taux de change (ou à réajuster périodiquement la parité) et à abandonner la tâche de maintien de l'équilibre externe aux marchés. C'est la voie empruntée dès 1971 par les Etats Unis que nous examinerons ensuite. Considérons d'abord, une voie qui a été proposée par R. Mundell pour moduler plus finement à court terme la politique de la demande dans un régime de changes fixes (Bretton wood, le SME).

La règle de Mundell.

Robert Mundell fait remarquer que la politique budgétaire et la politique monétaire ont des effets différents sur l'équilibre extérieur. La politique budgétaire expansionniste fait augmenter le revenu avec une hausse du taux d'intérêt susceptible d'attirer des capitaux et donc capable de limiter le déficit de balance globale voire même de le sauvegarder selon la sensibilité des mouvements de capitaux aux taux d'intérêt. Par contre la politique monétaire expansionniste entraîne une hausse du revenu et une baisse du taux d'intérêt qui à coup sur provoquer des sorties de capitaux détériorant inévitablement la balance globale. Cette différence permet à Mundell de considérer que la politique économique dispose de deux instruments que l'on peut affecter de façon spécialisée aux deux objectifs.

La règle de Mundell propose d'affecter la politique budgétaire à l'équilibre interne et la politique monétaire à l'équilibre externe. La politique budgétaire permet d'accroître le revenu en limitant la dégradation de la balance globale, alors que l'effet de la politique monétaire sur le taux d'intérêt influence les mouvements de capitaux monétaires de façon contradictoire à l'objectif interne.

Les combinaisons de politique budgétaire et monétaire qui permettent d'atteindre l'équilibre interne et externe sont donc désormais les suivantes :

 

Situation de l'économie intérieure

Situation de la balance globale

Chômage élevé

Inflation rapide

Excédent

Politique budgétaire expansionniste, politique monétaire expansionniste.

Politique budgétaire restrictive, politique monétaire expansionniste

Déficit

Politique budgétaire expansionniste, politique monétaire restrictive.

Politique budgétaire restrictive, politique monétaire restrictive.

Il apparaît donc possible pour Mundell de pratiquer des politiques budgétaire et monétaire en sens inverse afin de concilier à court terme les deux objectifs interne et externe. Dans les situations de déficit extérieur et de chômage élevé conduit à un déficit public et à des taux d'intérêt à court terme élevé, Mundell parle de torsion des taux d'intérêt.

Cette possibilité est limitée à une action de court terme non durable, car le fait d'attirer les capitaux internationaux implique des flux d'intérêt et de remboursement ultérieurs qui pèseront sur la balance globale, les ajustements structurels et les politiques rigoureuses ne peuvent être repoussée éternellement.

La règle de Mundell qui découle du modèle IS/LM/BP donne donc des principes de "policy mix" permettant un pilotage fin de la demande globale dans les cas de tension entre l'objectif interne et externe. Le choix d'abandonner l'objectif externe peut aussi s'interpréter à l'aide du modèle IS/LM/BP.

Le modèle IS/LM/BP en change flexible : l'autonomie retrouvée de la politique monétaire.

Si la fixation du taux de change est abandonnée au marché, cela signifie que les autorités monétaires n'interviennent plus sur le marché des changes, les fluctuations de la contrepartie monétaire externe n'interfèrent plus avec l'objectif interne de la politique monétaire qui ainsi retrouve sa totale autonomie vis à vis de l'objectif externe.




Tout déséquilibre de balance de paiements globale se traduit par une modification de l'offre et de la demande sur le marché des changes et un ajustement du taux de change censé rééquilibrer le marché des changes. Un déficit extérieur entraîne une dépréciation du change, un excédent une appréciation. L'équation du marché des changes correspond à l'équation de l'équilibre de la balance globale dans laquelle désormais le taux de change est la variable d'ajustement. L'équation du marché des changes se substitue donc à l'équation de l'équilibre de la balance des paiements globale et se déplace pour résorber le déséquilibre extérieur crée par l'équilibre intérieur. Sur le graphique on part d'une situation d'équilibre interne et externe qui coïncide (rye), les pouvoirs publics stimulent la demande globale par une politique budgétaire expansionniste afin de réduire le chômage, le nouvel équilibre interne (r'e, Y'e) se situe en zone de déficit extérieur. Le déficit de balance globale entraîne une dépréciation du change qui déplace BP vers le bas jusqu'à ce que l'équilibre externe coïncide à nouveau avec l'équilibre interne jugé plus satisfaisant en terme d'emploi. L'ajustement automatique de BP par la variation du taux de change permet à la politique économique de se concentrer sur l'objectif interne.

Les politiques budgétaire et monétaire peuvent donc être affectées exclusivement à l'équilibre interne, d'où l'idée que le flottement des changes rend l'autonomie de politique monétaire perdu dans le régime de change fixe.

Il convient de remarquer que l'ajustement de la balance globale par le marché des changes repose sur des hypothèses particulières qui loin d'être toujours réalisées.

Tout d'abord en ce qui concerne les échanges courants, il faut que les variations

du taux de change se répercutent effectivement sur les prix des produits importés et exportés (absence d'effet de marge), que la condition de Marshall-Lerner (ou théorème des élasticités critiques de Joan Robinson) soit respectée, que les prix plus élevés des importations n'amorcent pas une spirale inflationniste qui plongerait le pays dans de nouveaux déficits par perte de compétitivité. Enfin au niveau du marché des changes et des mouvements de capitaux non monétaires, il faut que les élasticités d'anticipations soient nulles ou négatives, sinon les anticipations sont déséquilibrantes et amplifieront les déséquilibres de balance globale. Le phénomène de surajustement (overshoting) décrit par R. Dornbusch modélise très bien ces anticipations déséquilibrantes sur le marché des changes qui contribuent à accroître plus que raisonnable la dépréciation du change en cas de relance de la demande globale.



Pour schématique et incomplète qu'elle soit, cette présentation du modèle théorique dominant de la politique de la demande globale qui a inspiré les décisions de politique économique depuis la seconde guerre mondiale.

Faits et problématiques.

LE DEFICIT BUDGETAIRE EST-IL UNE ARME OU CONTRAINTE DE LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE ? (*)

Introduction:

"La Nation, comme une famille, ne peut vivre durablement à crédit "
(J.
Arthuis, Ministre de l'Économie et des finances, Déclaration de revenus 1997)

C'est un fait. la plupart des pays occidentaux ont aujourd'hui un déficit courant important du budget de l'État (en France en 1997 : 284 Milliards de F. Total des APU : -3,2% du PIB). Cette situation durant depuis la fin des années 1970, la dette contractée pour équilibrer le budget atteint elle aussi des montants très importants (dette des APU en France en 1997 : 64,3% du PIB). Ce constat force à examiner la question des effets macroéconomiques du déficit budgétaire.

La question traditionnelle de la légitimité de l'intervention publique dans l'économie (Smith...) n'est plus vraiment en cause depuis la deuxième guerre mondiale. En revanche, ce sont les modalités de cette intervention qui sont discutables. La vraie question est donc : l'Etat est-il un acteur à part de l'économie, qui pourrait donc ne pas se soumettre aux impératifs élémentaires de gestion financière ou bien n'est-il qu'un agent comme les autres (la "famille" d'Arthuis) qui doit donc impérativement chercher l'équilibre de ses comptes ?

I. LE DÉFICIT BUDGETAIRE COMME ARME DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES KEYNÉSIENNES.

1. Le keynésianisme de Keynes : les "agenda" de l'État

a. Le déficit public est nécessaire pour compenser les mauvaises anticipations des agents.

Dans le cadre du circuit monétaire keynésien le problème économique est d'assurer un niveau de dépense suffisant pour enclencher le multiplicateur. Or, l'incertitude peut pousser les agents à la réserve monétaire. L'Etat a donc pour rôle de favoriser des anticipations positives qui inciteront les agents l'engagement monétaire. Pour cela, Keynes préconise la "socialisation de l'investissement".

Dans un de ses derniers écrits (projets pour l'après-guerre), il suggère de distinguer deux budgets pour l'État : un budget courant financé par l'impôt (avec vocation à l'équilibre) et un budget d'investissement financé
par emprunt. Ce deuxième budget jouerait le rôle de stabil
isation de l'activité économique (rôle "contra cyclique").

On peut noter qu'en France depuis 1959 existe une distinction de ce type (entre les "opérations à caractère définitif" comme les dépenses de fonctionnement, de transferts... et les "opérations à caractère temporaire", c'est-à-dire les dépenses productives).

b. Il est aussi vertueux car il crée de l'activité et donc l'épargne qui le financera.

- L'excès des dépenses sur les recettes antérieures est à la base de la dynamique keynésienne d'économie d'endettement. Le déficit public est donc tout à fait normal dans ce cadre.

-La multiplication crée toujours un montant d'épargne égal à la dépense initiale engagée. Le déficit peut donc être financé "ex-post".

(Dans une approche circuitiste, on peut aller jusqu'à dire que le déficit est un "mythe" — A. Parguez —car il suppose une approche comptable et statique alors que l'activité de l'État est un pari sur l'avenir, comme toute activité économique)

c. Il permet de réaliser l'"euthanasie des rentiers" et de favoriser le comportement d'entreprise.
Paradoxalement pour
Keynes, le déficit budgétaire est un moyen de l'allocation des richesses vers les entrepreneurs plutôt que vers les rentiers. En favorisant la croissance et l'inflation, le déficit fait baisser les taux
d'intér
êt réels acquittés sur la dette publique et pour toutes les dettes. D'autre part, l'État peut agir sur ces taux pour diminuer la valeur de sa dette (ou la monétiser ). Un comportement d'austérité budgétaire au contraire favorise la déflation et donc les rentiers au détriment des entrepreneurs.

2. Le rôle du déficit budgétaire dans le lissage du cycle : le "réglage fin" keynésien

a. Le déficit budgétaire comme "stabilisateur automatique"...

Dans la perspective des politiques contra cycliques des années 1950-1970. le déficit budgétaire est une arme "passive", un mécanisme automatique. Les ressources des États sont en effet directement corrélées à
l'activité économique
(IRPP. TVA...). Les dépenses sont souvent anticorrélées par rapport au cycle (les dépenses sociales augmentent dans les phases de ralentissement). Le déficit est donc nécessaire dans ces phases et l'excédent devrait aussi être automatique lors des phases expansives. Ce mécanisme permet le lissage du cycle économique.

b. ...et comme instrument de politiques discrétionnaires

Le gouvernement peut aussi décider d’une politique discrétionnaire en modifiant les principes de la fiscalité en l'alourdissant ou en l'allégeant. Le déficit budgétaire n'est une "arme" que dans ce cas là car il est choisi.

Les conditions d'efficacité de ce choix sont définies par le modèle IS-LM. En règle générale, leficit budgétaire n'est pleinement efficace qu'accompagné d'une politique monétaire expansive.

c. Adéquation aux faits ?

On pourrait développer un paradoxe : au moment où la science économique légitime l'utilisation de l'"arme" budgétaire, les gouvernements sont toujours sous la dépendance de l'idéologie de l'équilibre. C'est très
net en France où, ju
squ'en 1982, le budget de l'Etat n'a joué que le rôle de stabilisation automatique. Dans toutes les années 1960, le budget est voté à l'équilibre et même en excédent sauf en 1968 et 1969 (l'exécution est
déf
icitaire à partir de 1976 mais cette année là le budget prévisionnel était excédentaire de 27 millions pour un déficit constaté de 37 milliards).

Pendant les " trente glorieuses ", le déficit est subi (les "impasses" budgétaires de la quatrième République) et sans doute pas géré dans une optique keynésienne. Mais la conjoncture inflationniste permet de
le supporter facilement et lui fait
jouer un rôle expansif surtout en France où le recours à la dévaluation permet d'éviter les effets néfastes du déficit du commerce extérieur (IS-LM-BP).

Ccl : La perspective keynésienne amène à considérer l'État comme un agent à part dans l'économie.

- Son horizon inter temporel est infini (il ne meurt pas et ne fait pas faillite). Il n'a donc pas de contrainte de remboursement fixée pour sa dette.

- Il dispose de moyens d'intervention sur la monnaie notamment qui lui permettent de jouer sur la valeur de sa dette (seigneuriage monétaire ; création d'inflation par une politique active...).

- Sa fonction dans l'économie est spécifique (assurer sa régulation). Il n'a donc pas à respecter les impératifs de gestion des autres agents (l'impératif systémique passe avant l'impératif moral d'équilibre des comptes).

II . LES PERTURBATIONS ÉCONOMIOUES DES ANNÉES 1970 1980 ET LA CRITIQUE GÉNÉRALISÉE DU DÉFICIT

Depuis les années 1970, la récession en faisant disparaître le cycle ne permet plus de compenser le déficit par un excédent. Le déficit conduit donc à un endettement croissant. Cette nouvelle conjoncture a mené à une critique de la dette publique et de l'activité de l'État qui la génère.

1. La conjoncture.

a. La première véritable politique de déficit keynésien recherché est un échec

- la relance Mauroy rompt pour la première fois avec le dogme de l'équilibre budgétaire (loi de finance déficitaire). Le but recherché est clairement la relance de l'activité.

- C'est un échec lié à deux problèmes :

- L'internationalisation des économies diminue la valeur du multiplicateur budgétaire, surtout si les autres pays ont une politique opposée (le multiplicateur budgétaire est estimé à 1,3 en France par l'INSEE
vers 1990).

- La crise n'est pas une crise de la demande. La relance budgétaire n'est donc pas adaptée et génère un endettement cumulatif du fait du maintien des taux de croissance en dessous du taux d'intérêt supporté
par la dette.

b. Le tournant des politiques monétaires contraint la situation budgétaire

- Le développement des thèses monétaristes entraîne l'adoption de politiques déflationnistes qui alourdissent le fardeau de la dette (manque de croissance, donc de ressources fiscales alors que le chômage augmente du fait de la désinflation compétitive, et augmentation des taux réels).

- La critique friedmanienne porte essentiellement sur l'accompagnement monétaire du déficit et sur la contestation des effets réels de la hausse des dépenses publiques lorsqu'elle est anticipée (ajustement des
exigences salariales à l'inflation
...). C'est donc l'idée d'"autofinancement" ex-post du déficit qui est remise en cause.

- Mais de nouvelles constructions théoriques remettent en cause la légitimité même de l'endettement public, plus seulement de son financement inflationniste.

2. Les critiques "standard" (libéralisme néoclassique) du déficit

a. Le financement par impôt et le paradoxe de Laffer (effet sur l'activité)
Selon cette courbe bien connue
, l'alourdissement du déficit budgétaire, s'il est financé par une augmentation de la pression fiscale (future), entraîne une diminution des recettes fiscales et de l'activité économique.

b. Le financement par endettement et les deux "effets d'éviction" (effets sur l'investissement privé et le commerce extérieur)

Le choix de l’endettement a des effets pervers analysés par les économistes néoclassiques dans le cadre du modèle IS-LM.

- L'éviction financière (IS-LM) : le déficit budgétaire exerce un effet de relance dans un cas très précis (cf. I) qui suppose LM horizontale et IS verticale. En fait, comme l’offre de monnaie est limitée dans IS-LM, le déficit budgétaire fait augmenter r et donc baisser I (cas max : IS horizontale et LM verticale), fonctionne dans les cas de financement par épargne préalable sur le marché local des capitaux.

- L'éviction par le change (IS-LM-BP) : le déficit public entraîne une entrée de capitaux pour le financer, donc la montée du change, la contraction du commerce extérieur et l'annulation des effets de la relance, marche surtout en changes flexibles à forte mobilité des capitaux. Ex: les EU en 1983-1984 et la France dans les années 1960 (le déficit public est accompagné de dévaluations pour rétablir le commerce extérieur)

c. Le "fardeau intergénérationnel" (Modigliani) : Les effets sur l'accumulation du capital et la croissance.
Dans l'analyse néoclassique de la croissance
(Solow) la variable la plus importante est le niveau de capital par tête (permet l'accumulation) et donc le taux d'épargne de la société. Le déficit public fait augmenter la
consommation car les ménages sont plus riches puisqu'ils possèdent les titres de la dette (effet de richesse). L'ép
argne baisse, le niveau de capital par tête aussi. Pour Modigliani, l'accumulation des déficits publics est un
"fardea
u intergénérationnel" car elle diminue le stock de capital dont bénéficieront les générations futures.

Ces auteurs ne pensent pas que l'Etat devrait toujours être à l'équilibre mais qu'en moyenne, sur le cycle, le déficit soit nul. Ceci suppose des excédents en phase d'expansion (jeu de la stabilisation automatique). Les
analyses des "nouv
eaux classiques", notamment la théorie économique de la bureaucratie, montrent que c'est impossible.

3. Les "nouveaux classiques" : le déficit est une arme politique et une contrainte économique

Les théories de la "nouvelle économie classique" reposent sur l'exploitation maximale des hypothèses de rationalité des anticipations économiques et sur la critique des politiques économiques discrétionnaires. Le déficit est analysé comme un effet nécessaire de l'organisation politique démocratique, pervers pour l'économie.

a. L'analyse de la bureaucratie (Niskanen. 1971)

Ce modèle montre que la bureaucratie ne peut que croître et donc grever le budget de l'État (le déficit est mécanique). Il repose sur l'idée d'asymétrie d'information entre les managers bureaucratiques et les gouvernants ou les électeurs. Les premiers, qui maximisent leur utilité personnelle (prestige notamment) ont tendance à gérer l'administration avec un objectif de maximisation de leur budget plutôt que de leur profit. Les gouvernants sont incapables d'y mettre fin car les seules sources d'information sur la bureaucratie émanent de la bureaucratie elle-même.

b. les modèles de choix politique ("public choice") (Buchanan)

Ils montrent que la gestion des biens publics est nécessairement irrationnelle du fait de l'imperfection de la procédure démocratique de coordination des intérêts individuels.

• Les asymétries d'information et de perception des coûts des politiques publiques donnent un poids prépondérant aux "groupes bruyants" et provoquent un marchandage politique ("logrolling") qui est source de perte de bien-être pour tous (les groupes organisés détendent leurs intérêts dont le coût est réparti sur tous par le déficit). Ex: l'opacité de la fiscalité française.

• La solution classique de ce problème de choix collectif a été fournie par Wicksell, bien qu'elle soit inapplicable : Toute augmentation des dépenses publiques devrait être votée à l'unanimité en même temps que les impôts pour la financer.

c. Les modèles de cycle politique (Nordhaus)

Avec des électeurs myopes et sans mémoires, les gouvernements sont incités à adapter leur politiqueéconomique non pas au cycle économique mais au cycle des élections. Ils mènent des politiques de rigueur dans
les phases
post électorales et s'endettent pour relancer dans les phases préélectorales (remarque : c'est exactement le contraire qui s'est passé en France !).

d. Le "constitutionnalisme économique", une solution ?

Les auteurs du "public choice", notamment Buchanan et Rowley (Deficits. 1987) proposent pour lutter contre ces effets pervers et arriver à l'équilibre moyen du budget de l'État sur le cycle d'inscrire celui-ci dans la
constitution afin d'éviter les politiques discrétionnaires des gouvernements. Aux États-Unis, ce débat a donné lieu au v
ote par le Congres de l'amendement Gramm-Rudman-Hollings en 1985 (efficacité limitée).

4. Les effets des anticipations rationnelles

L'exploitation de l'hypothèse d'anticipation rationnelle a conduit a une remise en cause radicale des politiques budgétaires et donc du déficit, quelle que soit sa nature et son mode de financement.

a. L'équivalence néo-ricardienne

(Barro. "Are government bonds net wealth ? ". 1974)

L'idée est simple : si on suppose que les individus sont rationnels et que leur horizon temporel n'est pas borné, ils comprennent que l'endettement actuel de l'État supposera un jour ou l'autre une augmentation des impôts et donc la baisse de leur revenu. Ils l'anticipent en augmentant leur épargne et en diminuant leur consommation. L'effet de relance est donc annulé. Pour Barro, il y a équivalence du financement par impôt et par endettement.

b. La "déplaisante arithmétique" de Sargent et Wallace (1981)

Ces auteurs critiquent radicalement le déficit budgétaire en montrant que son financement par titres est aussi créateur d'inflation que sa monétisation par la politique monétaire. Le raisonnement repose toujours sur les anticipations rationnelles. Les ménages anticipent que l'Etat devra bien un jour financer sa dette par création monétaire, donc par de l'inflation. Donc ils anticipent que leurs titres de la dette pourraient se dévaluer. Donc ils exigent dès aujourd'hui un taux d'intérêt élevé et modifient leur comportement de telle sorte qu'apparaît de l'inflation.

III. CRITIQUES DES CRITIQUES ET NOUVELLE CONJONCTURE INSTITUTIONNELLE

1. Des critiques elles-mêmes critiquables

a. Le manque de vérification empirique des critiques "néoclassiques"

• Pas de vérification de la courbe de Laffer

• L'effet d'éviction lui-même est contestable. Les analyses économétriques montrent une corrélation entre le taux d'intérêt et l'inflation anticipé et peu avec le déficit public. D'autre part, l'effet d'éviction suppose une faible mobilité des capitaux (stock d'épargne disponible constant). Or, aujourd'hui on observe le contraire. La contrainte de financement du déficit est donc moins lourde (ex : le test de Feldstein et Bachetta en 1991 montrent que l'investissement national est de plus en plus inélastique par rapport au taux d'épargne nationale).

b. Les hypothèses problématiques des "nouveaux classiques"

• L'équivalence néo-ricardienne repose, outre la rationalité des anticipations, sur des hypothèses restrictives comme l'altruisme intergénérationnel et l'idée que la consommation ne dépend que du
revenu permanent.

• L'État est supposé avoir une contrainte inter temporelle. C'est contraire à la position keynésienne.

• Les anticipations rationnelles ne marchent que si les prix et les salaires sont très flexibles dans l'économie (ajustement automatique à l'inflation anticipée). Des auteurs comme Fisher (1977) insistent sur
l'inertie salariale en construisant des modèles où
les contrats de travail ne peuvent être renégociés en permanence.

2. Mais le contexte institutionnel force au rejet du recours aux déficits

a. La perspective de l'UEM modifie la donne budgétaire

La procédure d'intégration européenne produit des effets paradoxaux sur la gestion des déficits budgétaires :

• Le souhait de convergence (3% déficit courant des APU ; 60% dette) correspond à la nécessité d'éviter une stratégie de "passager clandestin" puisque la monnaie unique va homogénéiser les taux d'intérêt en Europe et que donc l'éviction pourrait se propager à tous les pays. La politique budgétaire est donc contrainte.

" En théorie, la situation de l'UEM (changes fixes ; forte mobilité des capitaux) devrait redonner ses vertus à l'usage actif du déficit budgétaire. Mais le budget communautaire est très faible (1,2% du PIB) et il doit être équilibré en permanence.

b. Un choix original : la contrainte sert l'arme

L'analyse des anticipations rationnelles semble inspirer la politique actuelle (fixation de limites au déficit...). L'idée est que les politiques discrétionnaires étant forcément inconstantes dans le temps (l'État a
toujours intérêt à revenir sur ses engagements selon
Kydland et Prescott pour jouer sur les retards d'anticipations), conduit à penser que la meilleure façon de leur redonner de l'efficacité serait de les limiter de façon très rigoureuse (Maastricht). Le recours à un financement concurrent du financement privé sur les marchés de capitaux Þ Etats sont "notés" par les agences de notation et une prime de signature est imposée aux moins vertueux.

 

Il apparaît que le déficit budgétaire a perdu progressivement de son efficacité dans la mesure où le contexte international commercial, financier et monétaire contraint les possibilités de financement et l’efficacité de l’effet du multiplicateur Keynésien. Cependant le climat d’austérité budgétaire conjuguée dans l’UEM au cours des années 90 qui a lourdement pesé sur la croissance et l’emploi de la zone, montre que le niveau du déficit public n’est pas neutre dans l’activité économique. Il convient donc de penser qu’un politique active des finances publiques pourrait retrouver une certaine efficacité sous condition d’un rééquilibrage préalable des finances publiques et d’une coordination des efforts entre les différentes zones disposant d’un pouvoir budgétaire significatif.