La globalisation financière, la revanche des marchés
Chiffres
Structure de la balance des paiements de la France (en %)
|
1981 |
1986 |
1997 |
|||
|
Crédit |
Débit |
Crédit |
Débit |
Crédit |
Débit |
Transactions courantes |
75.8 |
77.6 |
56.4 |
55.6 |
13.4 |
12.2 |
Compte financier |
24.3 |
21.2 |
43.4 |
44.4 |
86.4 |
87.8 |
Dont : Investissement en portefeuille |
8.9 |
9.3 |
34.4 |
33.9 |
78.5 |
79.3 |
Total (en milliards de Francs) |
1 418.1 |
2 577.7 (+ 82%) |
19 092.7 (+ 640%) |
Evolution des mouvements internationaux de capitaux
(milliards de $, moyenne annuelle)
1976-1980 |
1981-1985 |
1986-1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1998 |
|
Investissements directs |
39 |
43 |
163 |
184 |
173 |
173 |
611 |
Investissements de portefeuille |
26 |
77 |
215 |
340 |
326 |
620 |
923 |
Source : BRI et FMI
Questions
La nature de la monnaie
La monnaie est une étape décisive de la rationalisation des échanges et de l'activité économique par ses fonctions d'unité de compte, d'instrument des échanges et de réserve de valeur, elle réduit les coûts de transactions, romps l'échange en deux opérations distinctes (achat et vente), permet la division du travail et donne la possibilité aux individus qui la détienne de décider de son utilisation et du moment de celle-ci. La monnaie disait Dostoïevski "C'est de la liberté frappée". La fonction de financement découle tout naturellement de l'usage généralisé de la monnaie qui s'est imposé avec l'ère industrielle.
Si très tôt, les fonctions de la monnaie ont été énoncées par les penseurs de l'antiquité (Aristote par ex.), le débat sur le rôle de la monnaie dans l'économie est une des questions les plus complexes et polémiques de la pensée économique. L'objet n'est pas ici de refaire le cheminement intellectuel des économistes depuis le XVIème siècle (la querelle de Jean Bodin et de M. de Malestroit à propos de l'origine de la grande inflation du début du XVIème). Il convient schématiquement de distinguer les deux positions opposées sur le rôle de la monnaie qui marquent un clivage fondamental entre les courants de pensée.
Dans la tradition de l'économie classique, la monnaie est neutre. C'est à dire qu'elle n'intervient pas dans les décisions d'allouer les ressources matérielles à la production de richesses, le raisonnement est tenu en termes réels. La monnaie n'a de valeur qu'à travers les biens et services qu'elle permet d'acheter, elle n'est qu'un intermédiaire des échanges, la fonction d'instrument de réserve est négligée. Comme le dit John Stuart Mill : "Rien n'est moins important que la monnaie, elle permets de faire commodément ce que l'on ferait moins commodément si elle n'existait pas." Des économistes classiques (Ricardo) aux monétaristes (Friedman) en passant par les néoclassiques (Walras), cette vision de la neutralité de la monnaie est une constante, la monnaie sert in fine à déterminer le prix monétaire des biens et services dont les prix relatifs sont fixés dans la sphère de l'économie réelle par un calcul économique tenu en termes de biens et services. Une des principales conclusions de cette approche est que "l'inflation est toujours et partout un phénomène d'origine monétaire" (Milton Friedman).
C'est à John Meynard Keynes que revient le mérite de rompre avec le dogme de la monnaie neutre (mais d'autres économistes ont eu la même intuition, en particulier Kurt Wicksell). Pour Keynes, la monnaie a une utilité qui lui est propre, car elle possède la propriété de liquidité immédiate. La monnaie est donc demandée pour elle-même, pour les services qu'elle rend. Keynes parle à propos de la demande monnaie d'une préférence pour la liquidité différente de la demande de biens et services. Il distingue trois motifs de détention de monnaie : la transaction, la précaution et la spéculation. Ce dernier motif novateur dépend du taux d'intérêt qui, chez Keynes, est une variable monétaire, c'est le prix du renoncement à la liquidité. Puisque le taux d'intérêt intervient dans la décision d'investissement, une variable monétaire intervient dans une décision réelle, la monnaie n'est plus neutre. L'ajustement par les prix est un ajustement parmi d'autres lorsque l'économie est en déséquilibre. La monnaie acquiert une capacité perturbatrice du fait de l'instabilité de sa demande liée aux anticipations des individus tant sur la demande de biens et services que sur le taux d'intérêt.
Il découle de ces deux visions du rôle de la monnaie deux conceptions du financement de l'économie.
Si la monnaie est neutre, l'épargne n'est qu'une dépense différée. Il y a automaticité de l'équilibre de l'épargne et de l'investissement, le taux d'intérêt est un prix relatif, comme tous les autres prix, déterminé dans la sphère réelle, le prix des biens d'investissement. L'épargne est donc une condition préalable au financement de l'investissement, il faut s'abstenir de toute création monétaire.
Si la monnaie est non neutre et les raisonnements monétaires, l'équilibre de l'épargne et de l'investissement n'est plus automatique car la monnaie est demandée pour d'autres motifs que la dépense selon les anticipations des individus. La capacité perturbatrice de la monnaie liée à la thésaurisation (encaisses oisives) justifie l'intervention des pouvoirs publics. En particulier, par la création de moyens de paiement pour financer la dépense des agents (en particulier celle de l'Etat en cas d'insuffisance de la demande privée). Pour Keynes la monnaie est serve.
Le financement de l'activité économique.
Les opérations financières, en comptabilité nationale, sont des opérations qui traduisent la variation des créances et des dettes des agents économiques. Pour accéder au marché, l'agent économique doit posséder des liquidités ou être en mesure de justifier de sa capacité d'accéder à celle-ci pour qu'on lui accorde un crédit. Le crédit désigne l'opération par laquelle un agent peu disposer d'un bien, d'un service ou de monnaie contre promesse de paiement ou de remboursement à une échéance donnée selon des modalités convenues à l'avance. Le crédit peut être commercial (entre le client et son fournisseur) ou monétaire (entre emprunteur et prêteur), le crédit commercial peut être transformé en crédit monétaire par l'opération d'escompte d'effet de commerce auprès des banques.
Les agents économiques sont soit en capacités de financement si l'ensemble de leurs dépenses est inférieur à leur ressources (les ménages, parfois les administrations), soit inversement en besoin de financement (les entreprises, souvent les administrations). Au niveau de tous les agents, la somme des besoins de financement est égale à la somme des capacités de financement. Le rôle du système financier est d'assurer le financement des transactions entre agents en organisant la mise à disposition des capacités de financement envers les agents en besoin de financement par la réalisation d'opérations financières.
Dans une économie ouverte, le reste du monde (non-résidents) réalise des opérations financières avec les résidents. Un pays peut donc être en capacité de financement vis à vis du reste du monde (augmentation des avoirs et créances, diminution des dettes) ou en besoin de financement vis à vis du reste du monde (augmentation des dettes, diminution des avoirs et des créances), l'équilibre est l'exception. Dans l'optique keynésienne, à l'équilibre les revenus distribués sont égaux aux revenus dépensés. Dans une économie ouverte la condition d'équilibre s'écrit :
Epargne(S) + Importations(M) = Investissement(I) + Exportations(X)
Soit également : S - I = X - M ;
Si M > X alors I > S, c'est à dire que les résidents dépensent plus qu'ils n'ont de revenus, schématiquement l'épargne nationale est insuffisante est implique un financement des dépenses excessives par le reste du monde en capacité de financement vis à vis des résidents (cas de l'économie américaine depuis la fin des années 70).
Les circuits de financement de l'économie.
Le système financier assure des fonctions indispensables de mobilisation des capacités de financement afin de les mettre à disposition des agents en besoins de financement, mais aussi d'évaluation et redistribution des risques. Du bon fonctionnement du système financier découle la réalisation en continu des opérations de création de richesses, en permettant l'investissement dont la caractéristique principale est d'exiger une mobilisation importante de capitaux aujourd'hui pour des résultats espérés étalés dans le temps. Initialement la finance est irremplaçable pour le développement de la richesse matérielle. Cependant la nature même de la monnaie qui comme le dit Keynes est "un lien entre le présent et l'avenir", est la meilleure protection à court terme contre l'incertitude qui permet de pratiquer des anticipations. C'est cet aspect propre de la monnaie qui en fait un objet de marché qui peut devenir indépendant de la sphère des échanges réels.
D'une manière générale les épargnants moyens sont demandeurs de sécurité et de liquidité alors que les emprunteurs (en particulier les entreprises) proposent des placements plus ou moins risqués et long terme. La rencontre direct de l'emprunteur et de l'épargnant ne peut donc pas toujours réaliser l'équilibre des financements, car les intérêts des uns et des autres ne correspondent pas nécessairement. La rencontre des capacités de financement et des besoins de financement peut nécessiter l'intervention d'un intermédiaire dont la mission est de satisfaire les intérêts des uns et des autres soit en facilitant leur rencontre, soit en acceptant de porter tout ou partie des risques refusés par les épargnants. Les intermédiaires jouent un rôle fondamental dans l'équilibre de la finance et tirent leurs rémunérations de cette fonction vitale pour l'économie réelle. Il existe donc deux grandes catégories de circuits de financement : ceux de la finance directe sans intermédiaire et ceux de la finance intermédiée.
Dans la finance directe par le marché l'agent à excédent transfère son épargne à l'agent en déficit de ressources en lui achetant un titre de créance sur lui-même ou un titre de propriété. Ainsi l'agent en besoin de financement obtient-il des fonds en cédant un titre qu'il émet lui-même. Trois grands marchés existent dans la finance directe : le marché monétaire (marché de l'argent à court terme), le marché financier (marché des capitaux à long terme) et le marché hypothécaire (marché à long terme de l'immobilier). Les marchés primaires d'émission de titres impliquent l'existence de marchés secondaires ou de techniques permettant à celui qui est en possession de titres de les mobiliser (c'est à dire revenir à la liquidité). Ces marchés de "l'occasion" sont indispensables pour que le souscripteur ne voie pas son épargne piégée par les conditions du titre, les titres doivent être négociables sur des marchés d'actifs qui jouent ainsi un rôle d'évaluation selon les données macro économiques et micro économiques qui concernent l'émetteur. C'est notamment le rôle des bourses de valeurs où s'échangent les actions et les obligations émises par les entreprises et par les pouvoirs publics (ces derniers n'émettent que des obligations). Plus les marchés secondaires seront liquides, ouverts et actifs plus la possibilité d'émission primaire sera facilitée. Lorsque l'essentiel du financement s'opère par les circuits directs, on parle d'économie de marché financier selon l'appellation de James Tobin. Les économies de marché financier si elles sont réputées moins inflationnistes car potentiellement moins créatrices de monnaie, sont par contre soumises à la volatilité des marchés et des anticipations des opérateurs, le financement y est plus instable.
Dans la finance indirecte, le rôle des institutions financières est essentiel pour organiser l'équilibre du financement. L'intermédiaire financier va la plus part du temps plus loin qu'un simple courtier qui met en contact prêteur et emprunteur, il endosse souvent les risques que certains de ses clients ne veulent pas courir en s'appuyant notamment sur la loi des grands nombres qui tend à réduire le risque pris par l'intermédiaire. On distingue deux types d'intermédiation financière : l'intermédiation non bancaire et l'intermédiation bancaire.
Les intermédiaires financiers non bancaires collectent l'épargne des agents en capacité de financement qu'ils redistribuent aux agents en besoin de financement. Ils empruntent leurs ressources qu'ils prêtent, si la plus part du temps ces opérations impliquent des dépôts et des crédits, des titres peuvent aussi servir de support à ces opérations. L'existence des intermédiaires non bancaires est à l'évidence justifiée par le fait que la nature du titre ou du dépôt qu'ils offrent aux prêteurs est différente de celle du titre qu'ils achètent ou du crédit qu'ils accordent aux emprunteurs. Leur rôle est d'une importance stratégique parce qu'ils adaptent les désirs de prêts et d'emprunts contradictoires que le canal de la finance directe ne permet pas de réaliser. Par exemple, les prêteurs ne veulent pas de valeurs mobilières trop risquées et peu liquides, les intermédiaires leur proposent des produits rendant des services tels que des polices d'assurance, des comptes d'épargne rémunérés ou encore de la gestion collective de portefeuille (SICAV, FCP). Les intermédiaires non bancaires peuvent aussi être amenés à transformer les échéances pour faire correspondre les besoins des prêteurs et emprunteurs. La transformation d'une épargne qui désire rester liquide en prêt à des agents qui investissent, revient à emprunter à court terme des ressources pour les prêter à long terme. Cette pratique n'est pas sans risque pour l'établissement financier, pour l'épargnant (en cas de défaillance) ni pour l'économie dans son ensemble ( contraction monétaire ou inflation selon l'attitude des autorités monétaires).
Dans le cas de l'intermédiation bancaire, la caractéristique essentielle est qu'il n'y a pas d'intervention des agents épargnants. La banque monétise le titre cédé ou le crédit accordé à l'emprunteur (création monétaire par crédit du compte de l'emprunteur sans dépôt d'épargne en contrepartie). Le problème pour la banque est donc de pouvoir continuer à honorer ses engagements en cas de défaillance de ses débiteurs ou de décalage d'échéances. Lorsque l'intermédiaire bancaire est en difficulté, il doit se refinancer soit auprès de ses collègues, soit auprès de la banque centrale (prêteur en dernier ressort). Le risque de faillite n'est donc pas exclu en cas de refus de refinancement. Lorsque le financement passe principalement par les circuits de la finance indirecte, on parle d'économie d'endettement (J. Tobin). L'inconvénient des économies d'endettement est la création monétaire excessive génératrice d'inflation, cependant la présence d'un prêteur en dernier ressort (la banque centrale) et le nombre plus restreint de créanciers (les banques) confèrent à ces systèmes plus de stabilité de financement.
Les marchés, une force anonyme ?
Les opérateurs sur les marchés de capitaux sont principalement composés de trois catégories d'acteurs : les banques, les entreprises et administrations, et, enfin les investisseurs institutionnels (les "zinzins"). Ces derniers drainent une part importante de l'épargne des ménages qui sont peu présents directement sur les marchés. Les investisseurs institutionnels sont les importants par la masse des capitaux qu'ils manipulent. On distingue les fonds de pension particulièrement puissants aux Etats Unis et en Grande Bretagne, ils gèrent les retraites par capitalisation (ex le fonds Calpers des fonctionnaires fédéraux). Viennent ensuite les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) ou mutual funds qui font bénéficier les ménages d'une gestion professionnelle de leur épargne financière. Les compagnies d'assurance placent également une partie importante de leurs réserves sur les marchés, enfin, les fonds spéculatifs (hedge funds) qui prennent des positions à risque en particulier sur les marchés à terme et de produits dérivés.
Les marchés se déclinent en trois catégories principales : les marchés au comptant, les marchés à terme et les marchés dérivés.
Les marchés au comptant sont les plus simples, le contrat d'achat ou de vente est exécuté en même temps qu'il est conclu.
Les marchés à terme permettent des opérations plus complexes et par nature spéculative, l'exécution du contrat est décalée dans le temps par rapport à sa conclusion. On peut y acheter ou vendre des titres sans en avoir la contrepartie lors du contrat, y effectuer une contre opération entre le moment de la conclusion et celui de son exécution (ex : une vente à terme de titres et un achat au comptant de ces titres lorsque le cours du comptant passe en dessous du cours du contrat à terme). Il existe également sur le marché à terme des opérations conditionnelles moyennant paiement d'une prime, l'acheteur ou le vendeur acquiert le droit de ne pas exécuter le contrat à l'échéance en abandonnant la prime à l'autre partie. Cette pratique permet de limiter les pertes de l'acheteur en cas de baisse excessive des cours entre le contrat et la date d'exécution.
Enfin, les marchés de produits dérivés qui se développent depuis les années 80 sont aujourd'hui les plus instables et les plus risqués. Les produits dérivés (contrats d'échanges, options ) sont des instruments permettant des opérations de couverture, des arbitrages ou des prises de position spéculative. Ils sont constitués à partir d'un actif sous jacent qui peut être lui-même un produit financier (actions, obligations, devises), une matière première ou un indicateur (taux, indices). Leur valeur dépend de la variation de la valeur de l'actif sous jacent, d'où l'appellation de produit dérivé. Il en résulte un "effet de levier" entre le volume des positions prises sur ces produits et la valeur des actifs sous jacents concernés. La valeur des produits dérivés varie beaucoup plus fortement que celle de l'actif sous jacent, ceci pour une mise de fonds plus réduite. Les risques sont aussi considérables car la valeur d'un produit dérivé peut tomber à zéro ou être multipliée par 100. Les marchés organisés traitent les produits dérivés sont formes standardisées (des contrats fictifs) par exemple le Liffe à Londres, mais des produits définis pour les seuls besoins des contractants sont traités de gré à gré (la plus forte croissance ces dernières années).
Les euromarchés, par eux tout a commencé !
Une des clés de l'instabilité actuelle des marchés financiers est cette innovation parfois présentée comme la plus importante depuis l'invention du billet de banque : l'eurodollar. Aujourd'hui d'autres monnaies sont entrées dans le système d'où l'appellation générique d'eurodevise, mais les transactions en eurodollar reste très largement dominante.
Les euromarchés sont des marchés où les transactions portent sur des devises détenues et utilisées en dehors de leur pays d'origine. Les opérations sont principalement réalisées à la City de Londres, mais partout elles se font en dehors du système financier réglementé par l'Etat et des contrôles qui s'appliquent aux opérations en monnaie nationale. Au lieu de changer les devises en monnaie nationale, les banques les prennent en dépôt et les prêtent. Les euromarchés créent un espace libre de toute contrainte publique et permettent aux opérateurs d'accéder à un univers monétaire parallèle, qu'on appelle aujourd'hui "offshore". Offshore parce que les devises sont déposées et prêtées hors de tout contrôle, non seulement du système bancaire de la devise mais aussi de tout système bancaire national.
L'origine des euromarchés est liée au déficit de la balance globale des paiements américains qui génère des avoirs excédentaires en $ de la part des non-résidents américains. Les premiers dépôts hors des Etats Unis dateraient du début des années 50, en particulier au début de la guerre froide, chinois et russes auraient préféré transférer leurs avoirs en $ en Europe à la Banque commerciale pour l'Europe du Nord (nom de télex Eurobank) par d'un gel de ces avoirs par les Etats Unis. Mais le réel démarrage des eurodollars date de 1957 avec les restrictions sur les opérations en £ imposées par le gouvernement anglais, la réglementation "Q" limitant la rémunération des dépôts à terme aux Etats Unis amplifiant l'attrait pour les placements en $ à Londres. Banquiers de la City et Banque d'Angleterre trouvèrent dans le développement des activités en $ le moyen de maintenir leur activité et la prospérité du secteur financier britannique. Le déficit croissant des Etats Unis, les excédents colossaux des pays de l'OPEP après le premier choc pétrolier et les besoins de financement des pays non pétroliers ont littéralement fait exploser le marché de l'eurodollar.
Evolution du marché de l'eurodollar en milliards de dollars
1960 | 1964 | 1968 | 1970 | 1972 | 1974 | 1976 | 1977 | 1978 | 1979 | 1980 |
1 |
9 |
25 |
48.6 |
85.8 |
167.2 |
256 |
296 |
366.3 |
403.2 |
545.5 |
Le marché de l'eurodollar est un foyer permanent d'innovation sur les produits financiers (taux flottant, obligations convertibles, diversification des échéances ). Les marchés d'eurodevises permettent les opérations de crédits sur toutes les échéances et les émissions d'obligations ou d'actions (euro-obligations, euro-actions). Les sommes traitées étant trop élevées pour un seul établissement bancaire, les opérations de crédit ou d'émission sont montées par des groupes de banques (syndicat). Une banque chef de file est chargée de la négociation et du suivi de l'opération. Dans le cas des prêts, le syndicat reçoit deux types de rémunération : des intérêts et des commissions. Dans le cas des émissions le syndicat est un simple intermédiaire entre l'emprunteur et les clients des banques il perçoit une commission, il peut arriver que les banques achètent pour leur propre compte les titres (à un prix inférieur à celui du client). Dans les deux cas les frais liés à l'intermédiation des banques internationales sont comparables entre 0.5 et 2% du montant de l'opération.
Les marchés sont-ils efficients ?
Un marché est dit efficient lorsque son fonctionnement permet d'allouer le bien, le service, le capital ou la monnaie qui fait l'objet du marché de la meilleure façon possible. L'efficience repose sur les conditions dans lesquelles les prix sont déterminés. La théorie des marchés efficients implique que le prix qui s'établit sur le marché intègre toute l'information disponible. Dans le cas des marchés d'actifs, la valeur de l'actif doit représenter la somme actualisée de l'ensemble des revenus présents et futurs produits par l'actif jusqu'à maturité. La maturité d'un actif est la période à laquelle il a rendu tous les revenus que l'on peut attendre de lui, la maturité d'une action est plus lointaine que celle d'un bon de trésorerie à trois mois.
Dans le cas des actifs financiers, les informations disponibles sont d'abord d'ordre macro économiques, les conditions générales de la conjoncture et leurs perspectives (croissance, inflation, climat des affaires ), ensuite les différences de dynamique sectorielle différencient les rendements attendus selon les activités, en fin les informations micro économiques propres à l'émetteur (solvabilité, historique, staff directorial, innovation, part de marché, rentabilité ) font les différences dans les appréciations portées par les investisseurs sur les marchés. Cependant les phénomènes récents sur les marchés (par ex les valeurs de la "nouvelle économie", voir chapitre 3) montrent "l'exubérance irrationnelle des marchés" selon l'expression désormais célèbre d'Alan Greens Pan le président du FED.
L'exemple du marché des changes.
L'analyse de la détermination du taux de change fournit une illustration de cette discordance entre explication rationnelle basée sur les facteurs fondamentaux et la prise en compte de la volatilité des cours.
Les théories traditionnelles de la détermination des taux de change font appel aux facteurs fondamentaux agissant sur la valeur des monnaies : les soldes de la balance des paiements, les prix et les taux d'intérêt. L'influence des soldes de la balance des paiements a été évoquée au chapitre précédent (chapitre 6) seuls les deux derniers facteurs seront développés ci-après.
L'influence des prix sur le change a été énoncée par Gustave Cassel en 1916 par la théorie de la parité des pouvoirs d'achat (PPA). Cette théorie se décline en deux versions la PPA absolue et la PPA relative. La PPA absolue découle de la loi classique du prix unique selon laquelle dans un équilibre concurrentiel le prix des biens doit être le même partout, seule son expression diffère. Le même panier de biens doit avoir le même prix d'un pays à un autre, le taux de change est sensé être le taux de conversion des monnaies qui égalise le prix des deux paniers. C'est ce principe que retiennent les organismes internationaux pour comparer les PIB entre eux. La version relative est davantage utilisée pour expliquer les variations du taux de change qui dépendent des modifications des prix relatifs, c'est à dire des écarts d'inflation (appelés différentiel d'inflation). Au sein du SME, la dépréciation du franc français vis à vis du mark allemand est sensiblement égale à l'écart d'inflation entre la France et la RFA de 79 à 86.
La PPA s'intéresse aux échanges de biens et services, cependant les échanges internationaux de capitaux influencent également le cours du change. Keynes a mis en évidence que le différentiel du taux d'intérêt entre deux pays a tendance à s'égaliser au différentiel de change (c'est à dire la différence entre le cours du comptant et du terme). La variable rendement attendu constitue avec l'appréciation des risques un élément décisif des choix de portefeuille des investisseurs institutionnels lorsqu'ils achètent des actifs étrangers libellés en devises. La théorie du portefeuille (Tobin et McKinnon) appliquée au change a un intérêt certain dans une économie internationale où les mouvements de capitaux sont 50 fois plus élevés que les échanges de biens et services.
Cependant il est clair que les marchés des changes défient régulièrement les fondamentaux, l'exemple du $ en est l'illustration permanente, ni la PPA, ni les écarts de taux d'intérêt et encore moins le solde de la balance courante ne peuvent expliquer les fluctuations incessantes du $. Les théories récentes cherchent plutôt à expliquer l'in efficience des marchés en s'intéressant à la volatilité des cours, elles s'éloignent des fondamentaux.
La théorie de la sur réaction (overshooting) énoncée par Dornbush (1976) montre que l'amplitude excessive de la variation du change est passagère et répond à un différentiel d'inflation anticipée à la suite de décisions de politique économique ou des chocs externes. Dornbush s'appuie sur la vitesse de réaction différente entre le prix des biens et services et le prix des actifs financiers. Par exemple face à une augmentation de la masse monétaire, le marché des changes réagit à la baisse des taux d'intérêt et à l'inflation qui peuvent en résulter par une liquidation des actifs en monnaie nationale entraînant une dépréciation du change bien au-delà de la valeur finale d'équilibre.
L'explication par la sur réaction est intéressante sur le très court terme, elle ne permet pas cependant d'apporter des explications sur les périodes d'appréciation forte au-delà des fondamentaux et les chutes brutales qui les suivent. Les bulles spéculatives ont été analysées à partir des marchés financiers en particulier par Olivier Blanchart (1979) et appliquées depuis aux marchés des changes par Frenkel (1985). L'idée de départ est que les marchés sont gérés à partir d'une logique financière à court terme et sont très sensibles à toute variable (taux, législation, indices économiques, résultats des entreprises...). La spéculation crée un écart cumulatif entre le prix du marché et le sentier normalement déterminé par les fondamentaux. L'écart peut s'amplifier et se gonfler comme une bulle au fur et à mesure que les anticipations des opérateurs contribuent à la former. Autrement dit le prix ne dépend plus de la valeur intrinsèque de l'actif mais de l'idée que se font les opérateurs sur l'attitude des autres spéculateurs (voir le texte de Keynes en fin de chapitre). Les opérateurs bien que sachant que la bulle n'a que des fondements spéculatifs anticipent son évolution. L'appréciation dominante sur un actif détermine sa propre appréciation et vice et versa. Plus l'écart s'accroît, plus le risque de rupture devient évident. La correction ne pourra se faire que par l'effondrement brutal de l'actif. La moindre nouvelle (bruit) peut inverser la tendance. Frenkel insiste également sur les comportements de prévision des spécialistes des marchés, schématiquement deux comportements existent : les fondamentalistes anticipent les variations des cours sur la base des fondamentaux macro et micro économiques, les chartistes qui tirent leurs anticipations d'une extrapolation des comportements caractéristiques des cours observés dans le passé. D'après Frenkel la proportion de chartiste est passée de 10% à la fin des années 70 à 75% au début des années 90, ceci explique en grande partie la volatilité et le courtermisme croissant des opérateurs. En extrapolant des données de très court terme et en surestimant la volatilité potentielle des cours, les "noise traders" rétrécissent l'horizon temporel et entraînent des opérateurs rationnels dans le mouvement, ceux-ci étant contraints de suivre sous peine d'être distancés par les concurrents. Les suiveurs s'assurent ainsi qu'ils ne feront pas moins bien que leurs concurrents, comme le souligne Paul Krugman. Enfin André Orléans explique également la "contagion mimétique" par l'asymétrie de l'information entre marché et opérateur, et le degré de confiance accordé à sa propre opinion. Plus l'opérateur doute de sa propre information plus sa propension à faire confiance au marché l'emporte, ce qui génère des comportements moutonniers. Dans ce cadre toute modification de l'environnement extérieur est de nature à déstabiliser le marché. Ces dernières années, les sites boursiers en ligne et l'arrivée "d'amateurs" semble avoir encore accru les risques de volatilité.
Faits et Problématiques.
La globalisation financière, phénomène majeur de la fin du XX ème siècle.
La montée en puissance de la finance internationale est un des faits dominants de ces vingt dernières années. La globalisation financière se définit comme la création d'un marché unique de l'argent au niveau planétaire. Intimement liée au puissant mouvement d'internationalisation en uvre de puis 30 ans, la globalisation financière a été plus rapide et plus complète que dans tous les autres domaines de l'activité économique.
L'internationalisation des systèmes financiers n'est pas un phénomène nouveau. A la fin du XIX ème siècle, l'endettement extérieur des pays neufs est un élément décisif du financement du développement (6 à 7% de l'investissement brut). Les revenus des placements à l'étranger constituent une part non négligeable du national des pays prêteurs (4 à 10% au Royaume uni), de même les crises d'origine financière secouent le monde capitaliste (1873, 1882-84,1893,1907). La crise des années 30 et la reconstruction s'accompagne de la mise sous surveillance de l'activité monétaire et financière nationale et internationale. Jusqu'au début des années 70, les Etats contrôlent leur monnaie, leur crédit et les mouvements de capitaux. Dans les années 70, la fin de la fixité du change, l'explosion du marché de l'eurodollar, la libéralisation progressive de l'activité financière et des mouvements de capitaux ont relancé le processus de globalisation financière, dans cette période se développe une économie d'endettement Nord-Sud qui s'amplifie avec les chocs pétroliers. A partir de 1982, une double évolution se produit. D'une part, les flux de capitaux s'orientent de plus en plus vers les Etats Unis dont la balance courante est fortement déficitaire, les PED en difficultés de paiements voient se tarir les sources du financement extérieur. Les flux de capitaux dominants sont désormais Nord Nord, les PED deviennent même contributeurs nets durant les années 80. D'autre part, on observe une progression des techniques de financement liées à la finance de marché (émission et transaction sur titres) avec une internationalisation des portefeuilles de titres détenus et une croissance des investissements directs à l'étranger. Enfin dans les années 90, le phénomène des marchés émergents oriente à nouveau une partie des flux de capitaux vers les PED à "fort potentiel de développement" (62 milliards en 85 contre 300 milliards en 97). Les flux essentiellement privés (85%) se placent principalement sur les marchés boursiers et se caractérisent par leur forte concentration sur quelques places. Depuis la crise asiatique de 97, les mouvements vers les pays émergents sont en retrait et le débat sur les limites de globalisation relancé.
Toutefois le phénomène d'interdépendance financière est un acquis de cette fin siècle, les chiffres sont éloquents. Pour la France, les transactions internationales sur actions et obligations représentaient 5% du PIB en 1980 aujourd'hui elles atteignent près de 400% du PIB (´ 80 !), il en est de même pour la plus part des pays développés. Les Etats Unis investissent environ 10% de leurs fonds à l'étranger, mais cela représente par exemple 35% de la capitalisation boursière française. Les transactions journalières sur les marchés des changes sont évaluées à 1 500 milliards de $, soit 50 fois le volume des transactions sur biens et services.
La règle des "3D" fonde le processus.
Désintermédiation, déréglementation, décloisonnement permettent désormais aux grands acteurs industriels et financiers d'emprunter ou de prêter de l'argent sans limite de temps ou d'espace.
Pourquoi ces transformations ?
Cette nouvelle organisation du financement est liée à un contexte de déséquilibres économiques nés du ralentissement de la croissance, à la remise en question de la régulation des "trente glorieuses" combinés aux transformations structurelles et technologiques de cette fin de siècle.
Les années 70 et 80 ont vu s'accentuer les déséquilibres des balances courantes entre pays industrialisés (déficit américain, excédents européen et japonais), mais aussi dans les PED (conséquence des chocs pétroliers), le ralentissement de la croissance économique a également creusé les déficits des finances publiques de la plus part des pays. Le renouveau de la pensée libérale dans les pays anglo- saxons rapidement suivis par les autres pays et les organisations internationales (le consensus de Washington) a mis hors la loi l'inflation et le financement monétaire des déficits publics. Dans la foulée du monétarisme de Milton Friedman, les économistes de l'offre développent un argumentaire anti-interventionniste et un plaidoyer vibrant pour les vertus du marché. Dès lors les pays doivent se livrer à une concurrence pour l'épargne mondiale qui fait basculer les structures de financement vers les marchés financiers potentiellement moins créateurs de monnaie et plus aptes à affecter les capitaux aux emplois les meilleurs. Débuté aux Etats Unis, les autres pays seront contraints bon gré mal gré de s'engager dans la "ronde" de la modernisation financière sous peine de marginalisation sur les marchés de capitaux. Depuis la fin des années 70, tout a été fait par les Etats pour déréglementer, désintermédier et décloisonner la finance : libre circulation des capitaux, fluctuations libres des monnaies, transfert de la politique monétaire à des banques centrales indépendantes ont puissamment stimulé la globalisation et l'innovation financière (apparition de nouveaux produits, de nouveaux marchés).
Par ailleurs le vieillissement démographique des pays développés, la privatisation d'une part importante des secteurs publics, y compris dans le domaine de la protection sociale, la nécessité pour les entreprises de financement par fonds propres et le volume des émissions de titres publics ont entraîné une institutionnalisation de l'épargne domestique. Les investisseurs institutionnels gèrent aujourd'hui des sommes colossales, en 1995 la Banque des règlements internationaux (BRI) estimait les avoirs pour les 10 plus grands pays industriels à 21 000 milliards de $ ce qui dépasse le PIB de ces 10 pays, une partie de ces avoirs sont détenus sous d'actifs à l'étranger.
Enfin les mutations technologiques (informatique + télécommunication) ont contribué à la globalisation. Elles ont permis une réduction du coût des opérations, une sophistication des services, une circulation plus rapide de l'information et des possibilités de transferts quasi instantanées. Avec multiples opérations d'arbitrage (tirer bénéfice des différences de cours d'une place à une autre par exemple) désormais possibles le fonctionnement du système financier est bien mondial et en continu.
Les gains et les limites de la globalisation financière.
Si la libéralisation des mouvements de capitaux a été largement voulue par les acteurs privés et publics, c'est bien qu'ils en attendaient des gains appréciables. Pour Philippe d'Arvisenet et Jean Pierre Petit, ils sont au nombre de quatre.
Cependant ces deux derniers points ont entraîné une volatilité des sources de financement et une instabilité financière accrues.
La progression de l'institutionnalisation de l'épargne internationale pousse les gros gestionnaires à une recomposition continue des portefeuilles de titres. Les transactions sur titres représentent fréquemment 20 à 30 fois les flux nets enregistrés dans la balance des paiements. L'obligation de résultats de la plus part des gestionnaires pour leurs mandants (procès du fonds de pension Unilever contre Mercury asset management en 1999) entraîne un courtermisme croissant (maximiser la valeur immédiate du portefeuille au détriment de stratégie de placement à long terme). Les actifs étrangers détenus par les investisseurs institutionnels sont plus instables que les actifs nationaux (risque de change et risque de taux), chaque réaménagement de portefeuille même minime provoque plusieurs dizaines de milliards de $ de flux sur les marchés de titres et des changes. Les opérations d'arbitrage peuvent se transmettre dans les autres places financières (krach obligataire en1994, effet tequila en 1995, crise asiatique 1997). Ainsi on peut penser que les comportements de diversification et d'arbitrage entre les places financières des investisseurs institutionnels ne sont pas étrangers à la volatilité et l'instabilité des marchés financiers d'autant que ces comportements sont souvent manipulables et moutonniers.
La montée des risques financiers, menace pour l'économie réelle.
Les années 80 et 90 ont été ponctuées de nombreux accidents financiers. De la crise de la dette des PED en 1982 à la crise russe et au sauvetage du fonds spéculatif LTCM en 1998, en passant par l'éclatement de la bulle spéculative sur le Nikkei (1992) qui a plongé le Japon dans la dépression, en terminant par "l'e-krach" et la fin de la décennie flamboyante de l'économie américaine, autant d'événements qui sont la démonstration de la puissance de la sphère financière mais aussi de son extrême fragilité.
Avec le recul, on assiste bien à une multiplication et une accélération du rythme des crises avec une augmentation de leur vitesse de transmission. Les secousses de 1997-1998 ont montré clairement les difficultés des autorités de régulation face à des enchaînements vicieux largement incontrôlables. La crise des monnaies asiatiques commencée en Thaïlande a pesé sur le cours des matières premières ce qui a accéléré la débandade russe qui, à son tour, a attiré dans sa chute les producteurs de matières premières fragilisant l'Amérique latine, accentuant la volatilité des marchés de change et de taux ce qui eut pour effet final de provoquer la quasi faillite du fonds spéculatif américain Long Term Capital Management (LTCM) menaçant ainsi l'ensemble de ses créanciers (c'est à dire les banques), il fallut l'intervention vigoureuse de la Banque Centrale des Etats Unis pour éviter inextrêmiste l'effondrement du château de carte.
D'une crise locale dans une économie secondaire, nous sommes passés en quelques mois à une crise systémique. De façon restrictive une crise systémique se définit comme l'illiquidité du système bancaire. Selon Michel Aglietta, d'une façon plus large, le risque existe dès que les agents adoptent des comportements qui loin de conduire à une meilleure diversification des risques, élèvent au contraire l'insécurité générale. La défaillance de nombreux agents peut en résulter selon un effet dominos (de contagion) y compris en dehors du secteur financier alors même que les opérations de ces agents présentées des garanties suffisantes. L'affaire LTCM où il est apparu que quelques boursiers de haut vol (dont un prix Nobel) avaient pris des positions pour un montant de 1 300 milliards de $ (plus que le PNB de la France) avec une base de capital de moins de 4 milliards de $, a montré que tous les marchés étaient connectés par ceux des produits dérivés, donc dépendants les uns des autres et que les crises financières sont aussi des crises réelles. L'élévation des taux d'intérêt, la contraction du crédit, les dévaluations brutales et les effets de compétitivité qu'elles entraînent, ainsi les effets richesses et leurs conséquences sur la demande sont dans une économie financiarisée les principaux mécanismes de transmission de la sphère financière à la sphère réelle.
On a donc une dialectique en uvre dans le système financier contemporain, d'un côté les innovations financières ont pour objet de protéger les agents économiques contre l'instabilité des taux d'intérêt, des changes, des cours, mais de l'autre ces nouveaux instruments financiers sont eux-mêmes un facteur d'instabilité lorsqu'ils deviennent l'instrument favori des spéculateurs.
Comment mieux gérer le système financier mondial ?
Les événements financiers de la fin des années 90 interpellent ! Comment les analystes, les experts, les praticiens peuvent-ils se tromper à ce point, brûler ce qu'ils ont adoré la veille ? Pourquoi pour sauver le système financier impose-t-on l'austérité aux citoyens des pays en développement alors que le FED et le FMI volent au secours d'intérêts privés qui ont pris des risques excessifs ? N'est-il pas envisageable, comme le veut le bon sens, de prévenir plutôt que de guérir ?
L'économiste James Tobin en 1978 a proposé de réduire les mouvements de capitaux internationaux en imposant une taxe limitée sur ceux-ci afin de réduire les profits tirés des opérations d'arbitrages. Régulièrement reprise cette idée ne pourrait être valable qu'à condition que tous les pays l'appliquent, ce qui est à l'heure actuelle peu probable hostilité affichée des Etats Unis et de la Grande Bretagne. D'autre part cette mesure s'avérerait incapable d'empêcher les crises brutales et les spéculations de grande envergure.
L'idée d'un retour d'une certaine fixité des changes (inspirée par la théorie des zones cibles de Williamson) fait également partie des propositions visant à réduire les causes des mouvements de capitaux provoqués par la volatilité des monnaies. Ici encore la probabilité d'un accord international est très faible, la tendance étant même depuis la crise asiatique à voir les régimes de flexibilité augmenter (voir chapitre sur le SMI). Par contre, le fait de revenir pour certains pays un contrôle plus serré des changes paraît plus pertinent, le cas du Chili qui a réussi à éviter les affres de l'effet tequila apporte de l'eau au moulin des partisans d'une limitation de la libre circulation des capitaux.
Si ces propositions ont peu de chance d'aboutir dans un proche avenir, ceci ne signifie pas que les Etats sont restés inactive face au phénomène de globalisation, les réactions ont été plutôt de s'adapter à un phénomène irréversible que de tenter de contrarier son développement. Pour Elie Cohen, la réponse des Etats à la globalisation et à l'innovation financière a été triple.
D'abord il s'est agi de "sanctuariser" la politique monétaire en la confiant à des banques centrales indépendantes hors d'atteinte des pouvoirs politiques. Ayant pour objectif la lutte contre l'inflation, leurs actions s'inscrivent dans la durée en prenant en compte tous les paramètres. L'indépendance des Banques centrales est un signal fort de volonté de stabilité monétaire envoyé aux marchés afin de crédibiliser la politique économique des gouvernements.
Ensuite on a confié aux acteurs du marché l'autorégulation professionnelle dans les secteurs où les pouvoirs publics risquaient de manquer d'expertise et de la réactivité nécessaire. Au niveau national, dans les instances de réglementation, d'accréditation, de contrôle les représentants des professions bancaires et financières sont partie prenante. Au niveau international, le groupe de Bâle au sein de la BRI qui est composé des gouverneurs des principales banques centrales élabore des règles prudentielles (le ratio Cooke par ex) et a publié en 1997 "25 principes fondamentaux pour un contrôle bancaire efficace" qui doivent servir de base à l'élaboration de nouvelles règles en matière prudentielle, de transparence de l'information et de pouvoir correcteur.
Enfin dans l'amélioration de la capacité de détection, de prévention et de traitement des crises le FMI est devenu un vecteur essentiel de cette action. Michel Aglietta pose la question de savoir si le FMI peut devenir leader d'un système international de gestion des crises, c'est à dire un prêteur en dernier ressort, après avoir été le propagandiste de l'évangile néo libéral pendant les années 90. La proposition d'un renforcement de l'activité politique du FMI (conforme à l'enseignement keynésien et soutenu par la France) pour mettre en uvre des dispositifs massifs, rapides et automatiques d'intervention afin de sécuriser durablement le système se heurte à ceux qui voient dans ces mêmes crises l'effet de "l'aléa moral". "L'aléa moral" c'est l'assurance implicite donnée aux opérateurs que les investissements fussent-ils risqués, jouiront de la protection du FMI. Prévenir l'aléa moral, c'est accepter l'idée que des pays puissent être en faillite sans que le FMI n'intervienne, c'est aussi faire payer la finance privée en la faisant participer au sauvetage des situations qu'elle a elle-même contribué à créer. En 1999, un groupe d'universitaire réunis à Genève autour de Barry Eichengreen a proposé de rendre indépendant des agendas politiques des pays les plus puissants le comité intérimaire du FMI. Celui-ci serait composer d'experts nommés, irrévocables, sa mission serait exclusivement la sécurité financière et son fonctionnement en totale transparence.
Comme le conclue Elie Cohen, le traitement des crises ne peut être abandonné au bon vouloir des Etats Unis. A terme le FMI évolue donc vers un rôle de banque centrale mondiale assumant un rôle de prêteur en dernier ressort. Enfin le rôle de la finance privée est tel qu'on ne peut faire l'économie, au niveau mondial, d'un organisme capable de traiter les faillites et d'en faire porter le coût aux parties qui en ont longtemps profité, comme le font les tribunaux de commerce au niveau intérieur.
Globalisation et sécurité du monde.
En cette fin de siècle, la menace criminelle préoccupe à nouveau les dirigeants. Certaines formes de délinquance mettent en cause les fondements mêmes de la démocratie, d'autant que la connexion avec mes mouvances terroristes et extrémistes est aujourd'hui tout à fait établie. Les puissances criminelles ont tiré un grand profit des mutations financières de ces vingt dernières années. La planète s'est rétrécie pour les honnêtes hommes d'affaires mais aussi pour ceux qui organisent la délinquance et voient dans la mondialisation des opportunités criminelles nouvelles.
Les évaluations du "chiffre d'affaires" de la criminalité donnent le vertige. Le commerce des stupéfiants, selon les Nations Unies est d'environ 2500 milliards de francs soit 8% du commerce mondial, 40% du PIB russe seraient contrôlés par les mafias, le commerce de la drogue au Mexique rapporte annuellement 15 milliards de $ soit 5% du PIB, en 87 le chiffre d'affaires de la criminalité aux Etats unis était évalué à 1.1% du PIB. Le Produit Criminel Brut mesuré par un groupe d'expert représenterait 800 à 900 milliards de $ à la fin des années 90 soit l'équivalent à l'époque du PIB de la Chine. Dans "Un monde sans loi", les juges de l'appel de Genève évaluent à 3000 milliards de $ les sommes accumulées par les mafias au cours des années 90. Enfin l'ampleur de cet argent sale peut être approchée par le trou du déficit courant de la balance mondiale des paiements qui de 3 milliards de $ en 1970 est passé à 64.7 milliards de $ en 1998.
A l'image du cartel de Cali qui s'était assuré les services d'un diplômé de Harvard et de Columbia (Franklin Jurado) pour blanchir à partir du Luxembourg 36 millions de $ dans 68 banques de 11 pays différents, les organisations criminelles s'entourent aujourd'hui d'experts financiers, fiscaux et juridiques passés maîtres dans les tours de passe-passe financiers internationaux. Le FMI estime que les sommes blanchies chaque année dans le monde oscillent entre 500 et 1500 milliards de $. Si de multiples techniques sont utilisées (fourmis, faux procès, banques "hawala", prêts adossés, escroqueries au minitel ou Internet ), les centres off-shores ou paradis fiscaux jouent un rôle central dans les dispositifs de blanchiment de l'argent sale. Un centre off-shore offre trois attraits essentiels à la criminalité : le secret bancaire, la fiscalité avantageuse et le conseil juridique qui permet des montages empêchant de remonter aux bénéficiaires réels (sociétés écrans imbriquées en poupées russes, homme de paille). D'après le Forum de stabilité financière, ces centres financiers (42 au total) représenteraient 5000 milliards d'actifs soit 3% de la richesse mondiale. Ces centres financiers interdisent toute traçabilité de l'argent et la plus part des affaires de blanchissement échouent sur les rivages de ces paradis fiscaux, ainsi les îles caïmans comptent 30 000 sociétés immatriculées pour 35 000 habitants.
Face à cette organisation internationale de la criminalité, les Etats nations sont devenus des obstacles et doivent admettre que le dépassement de leur souveraineté est la condition de l'efficacité de la lutte anti-criminelle. En effet les délinquants utilisent habilement les rigidités, cloisonnements et lenteurs des administrations judiciaires des différents pays pour échapper aux poursuites des policiers et des juges. Le G7 réuni à Paris en 1989 a créé le GAFI (Groupe d'Action Financière contre le blanchissement des capitaux) avec pour mission d'établir des recommandations pour lutter contre le blanchiment, publiées en 1990, elles ont été révisées en 1996, depuis 2000 le GAFI publie la liste des pays non coopératifs susceptibles de sanctions afin de les inciter à modifier leur législation et leur attitude (Monaco par ex). Cependant les magistrats impliqués dans ce combat se heurtent aux frontières car les justices restent enfermées dans leurs souverainetés, l'entre aide judiciaire demeure hachée, lente et sans logique. De Genève en octobre 1996, sept magistrats européens, dont le juge français Renaud Van Rymbecke, ont lancé un appel pour renforcer la lutte contre la criminalité internationale demandant notamment le renforcement de la coopération, la levée du secret bancaire, la transmission directe des documents de justice, et la création d'un parquet européen. Face à l'organisation de la criminalité à l'échelon international, polices et justices doivent s'organiser au même niveau en acceptant une très large coopération.
Depuis 1998, l'ONU a mandaté un comité spécial pour élaborer un projet de convention internationale contre la criminalité transnationale terminé en 2000 la ratification du texte par les Etats est loin d'être terminée à ce jour. L'Union européenne est de toutes les instances internationales la plus avancée dans les textes, programmes et organismes, on citera en particulier Europol (1992 et 1994), Eurojust (2000), le réseau judiciaire européen, la convention d'entre aide judiciaire, mais ces matières relèvent encore de la coopération intergouvernementale (certains pays renâclant à coopérer vraiment Grande Bretagne, Italie en particulier).
Jusqu'au 11 septembre 2001, les progrès ont été lents en dépit d'un consensus de façade. Les attentats terroristes contre les "Twin Towers" et le Pentagone ont provoqué un électrochoc pour les Etats Unis et la Grande Bretagne jusque là impliqués tièdement dans la lutte. Le temps semble venu d'une prise de conscience que seules une mise en place de systèmes multinationaux de contrôle pénal et une reréglémentation de la finance internationale permettront de combattre le fléau de la criminalité transnationale organisée. Cela est possible et à l'évidence indispensable pour la sécurité du monde et la préservation de la démocratie. Souvenons-nous des pirates des Caraïbes du début du XVIIIème siècles qui par l'effort conjoint de l'Angleterre, des Pays Bas, de L'Espagne et de Portugal furent réduits.
Dates.
Keynes et la spéculation
La technique du placement (en Bourse) peut être comparée à ces concours organisés par les journaux où les participants ont à choisir les six plus jolis visages parmi une centaine de photographies, le prix étant attribué à celui dont les préférences s'approchent le plus de la sélection moyenne opérée par l'ensemble des concurrents. Chaque concurrent doit donc choisir non les visages qu'iI juge lui-même les plus jolis, mais ceux qu'iI estime les plus propres à obtenir le suffrage des autres concurrents, lesquels examinent tous le problème sous le même angle. Il ne s'agit pas pour chacun de choisir les visages qui, autant qu'iI en peut juger, sont réellement les plus jolis ni même ceux que l'opinion moyenne considérera réellement comme tels. Au troisième degré où nous sommes déjà rendus, on emploie ses facultés à découvrir l'idée que l'opinion moyenne se fera à l'avance de son propre jugement. Et il y a des personnes, croyons-nous, qui vont jusqu'au quatrième ou cinquième degré ou plus loin encore.
Peut-être le lecteur objectera-t-il que pour un homme habile il doit nécessairement y avoir à la longue des gains considérables à faire, aux dépens des autres joueurs si, indifférent au passe-temps prédominant, il persiste à acheter des investissements à la lumière des prévisions véritables à long terme les plus parfaites qu'iI puisse établir. A ceci il convient de répondre tout d'abord qu'il existe en effet des esprits sérieux de ce genre et que, suivant que leur influence ou celle des simples joueurs prévaut, la physionomie d'un marché financier diffère profondément. Mais nous devons ajouter que plusieurs circonstances s'opposent à la prédominance de semblables esprits sur les marchés de capitaux modernes. Le placement fondé sur une véritable prévision à long terme est de nos jours une tâche difficile au point de n'être guère possible. Ceux qui s'y attèlent sont sûrs de mener une existence beaucoup plus laborieuse et de courir des risques plus grands que ceux qui essayent de deviner les réactions du public plus exactement que le public lui-même; et à égalité d'intelligence ils risquent de commettre des erreurs plus désastreuses. L'expérience n'indique pas clairement que la politique de placement qui est socialement avantageuse coincide avec celle qui rapporte le plus. I1 faut plus d'intelligence pour triompher des forces secrètes du temps et de l'ignorance de I'avenir que pour "voler le départ". Au surplus la vie n'est pas assez longue pour cette tâche; la nature humaine exige de prompts succés et 1'enrichissement rapide a une saveur particulière, l'homme moyen calculant la valeur actuelle des profits différés à un taux d'escompte fort élevé.( )
S'il nous est permis de désigner par le terme spéculation l'activité qui consiste à prévoir la psychologie du marché et par le terme entreprise celle qui consiste à prévoir le rendement escompté des actifs pendant leur existence entière, on ne saurait dire que la spéculation 1'emporte toujours sur 1'entreprise. Cependant le risque d'une prédominance de la spéculation tend à grandir à mesure que l'organisation des marchés financiers progresse..
J.-M. Keynes, Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, 1936