LES CATEGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES (CSP)
et
PROFESSIONS ET CATEGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES (PCS)
11 – Les méthodes de constitution des CSP.
12 - Nomenclature des catégories socioprofessionnelles utilisée
entre 1954 et 1975
13 – Les résultats de l’observation entre 1954 et
1982.
2 – Un produit historiquement daté qui doit évoluer : la
nouvelle nomenclature de 1982.
21- Les motifs du changement de la nomenclature
22- La
nomenclature depuis 1982
221- La
nomenclature utilisée depuis 1982.
222 - Recherche d'une
plus grande homogénéité des catégories
223-
CATEGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES ET PROFESSIONS ET CATEGORIES SOCIALES
3 - Une portée limitée dans le temps et dans l’espace
4 - Des CSP/PCS aux classes sociales.
41-
La CSP entre catégorie et classe sociale
42 - La CSP, un indice fiable de l'appartenance de classe
43 - Les CSP, un instrument de synthèse ?
44 - Les catégories socioprofessionnelles ne sont pas des
classes sociales
Annexe N°1 :
Les CSP ne font pas les classes (Alternatives économiques Hors série N°29)
Annexe
N°2 : Population active classée selon les PCS de 1982 (1975-1996)
Annexe
N°3 : Evolution en longue période des CSP (1850-1990)
Annexe
N°4 : Les CSP changent de
look (révision prochaine des CSP)
LES CATEGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES (CSP)
et
PROFESSIONS ET CATEGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES (PCS)
Si
le concept de classe soulève autant de controverses, c’est bien parce qu’il est
au cœur de toute réflexion sur le pouvoir et l’inégalité dans les sociétés
démocratiques. De son côté, l’INSEE propose un classement qui élude cette
polémique et fournit plutôt un outil d’analyse, qui découpe la société en
grandes catégories : les Professions et Catégories Sociales (PCS). Pour
autant, il ne met pas un terme au débat.
1 – Un outil d’observation de la société française : la
nomenclature des Catégories Socio professionnelles (CSP).
11 – Les
méthodes de constitution des CSP.
L’élaboration des CSP est rendue nécessaire par des
raisons pratiques. Les recensements, par exemple, fournissent une multitude de
professions déclarées par les personnes recensées. Ces professions ne
constituent pas des groupes utilisables pour l’analyse de la société, il faut
par conséquent opérer à des regroupements susceptibles de réduire cette
multitude sans trop nuire aux caractéristiques originales de certaines professions.
L’objectif du statisticien est de « classer l’ensemble de la
population, ou tout au moins l’ensemble de la population active, en un nombre
restreint de grandes catégories présentant chacune une certaine homogénéité
sociale ». (code de INSEE)
Cette homogénéité suppose
l’existence de certaines relations entre les personnes que l’on classe dans la
même catégorie : relations de voisinage, de fréquentation, éventuellement
de mariage, etc.
Ces personnes doivent
également avoir des comportements et des opinions analogues : modèles de
consommation, comportements culturels, opinions politiques…
Elles doivent enfin
témoigner un certain sentiment d’appartenance recueillant, si possible,
l’assentiment des autres membres du groupe : « je me considère comme
ouvrier, et les personnes de ce même groupe me considèrent effectivement comme
tel ». Cette dernière condition n’est pas toujours réalisée, car les
enquêtes font confiance à la déclaration de l’intéressé, et le contrôle exercé
par le groupe n’est donc pas pris en compte.
Mais il y a loin évidemment de ces intentions à la
réalité, car celle-ci est d’une redoutable complexité. Ce qui peut d’ailleurs
donner à réfléchir à ceux qui manient avec imprudence le concept de classe
sociale.
Pour réaliser des coupures significatives et ainsi
constituer ses catégories, le statisticien dispose de deux méthodes :
a) la méthode abstraite qui
utilise des critères définis est en principe la meilleure. Je décide de mettre
dans la même catégorie toutes personnes :
1) salariés
2) ayant un travail
manuel d’exécution.
Je peux ensuite faire varier
ces critères, et je constituerai des catégories en considérant les personnes
qui ne sont pas salariées, celles qui n’exercent pas un travail manuel, celles
dont le travail est plutôt de direction, etc. Cette méthode a pour inconvénient
de supposer que les positions sociales se situent dans un espace continu que
l’on peut découper à sa guise. Or, la société procède à une organisation dont
on ne peut ignorer les contours ;
b) la méthode empirique
moins satisfaisante pour l’esprit, a pour l’avantage d’aboutir plus vite à des
regroupements utilisables. Ici je raisonne à partir de cas typiques que je
trouve dans les représentations sociales spontanées : l’agriculteur, le
cadre, l’ouvrier, l’employé, etc. Partant de ces cas typiques, je vais classer
dans la même catégorie les professions qui ressemblent au cas typique.
En fait, les deux méthodes
se complètent et s’accompagnent en dernier ressort d’un certain bricolage.
Comme le montre l’exemple suivant concernant
la catégorie employés de commerce telle qu’elle est présentée dans le code de
1968
53. Employés de commerce.
Cette
catégorie comprend les salariés qui participent directement à de opérations commerciales. La plupart d'entre
eux appartiennent au secteur privé.
Cas
typiques :
Employé de commerce ;
Vendeur.
Y
sont classés également :
Commis de magasin ;
Auxiliaire de magasin ;
Apprenti vendeur ;
Garçon épicier ;
Garçon tripier ;
Garçon boucher ;
Apprenti boucher ;
Gérant de magasin à
succursales multiples ;
Démonstrateur (sal. ou s.n.p.)
;
Voyageur de commerce (sal.
ou s.n.p.) ;
Démarcheur (sal. ou s.n.p.).
En
sont exclus :
Garçon boulanger, classé
en « 61. Ouvriers qualifiés » ;
Garçon charcutier, classé
en « 61. Ouvriers qualifiés » ;
Garçon de café, classé en
« 72. Autres personnels de service » ;
Acheteur, classé en « 44.
Cadres administratifs moyens » ;
Chef de rayon, classé en «
44. Cadres administratifs moyens » ;
Voyageur de commerce {a.s.c.), classé en « 27. Petits commerçants » ;
Représentant (sal. ou s.n.p.), classé en «
44. Cadres administratifs moyens »
Camelot (a.s.c. ou s.n.p.),
classé en « 27. Petits commerçants ».
12 - Nomenclature des catégories socioprofessionnelles utilisée
entre 1954 et 1975
10 groupes |
39 catégories |
0. Agriculteurs
exploitants |
00. Agriculteurs
exploitants |
1. Salariés agricoles |
10. Salariés agricoles |
2. Patrons de l’industrie
et du commerce |
21. Industriels 22. Artisans 23. Patrons pêcheurs 26. Gros commerçants 27. Petits commerçants |
3. Professions libérales
et cadres supérieurs |
30. Professions libérales 32. Professeurs,
professions littéraires et scientifiques 33. Ingénieurs 34. Cadres administratifs
supérieurs |
4. Cadres moyens |
41. Instituteurs,
professions intellectuelles diverse 42. Services médicaux et
sociaux 43. Techniciens 44. Cadres administratifs
moyens |
5. Employés |
51 Employés de bureau 53. Employés de commerce |
6. Ouvriers |
60. Contremaîtres 61. Ouvriers qualifiés 63. Ouvriers spécialisés 65. Mineurs 66. Marins et pêcheurs 67. Apprentis ouvriers 68. Manœuvres |
7. Personnel de service |
70. Gens de maison 71. Femmes de ménages 72. Autres personnels de
service |
8. Autres catégories |
80. Artistes 81. Clergé 82. Armée et police |
9. Personnes non actives |
91. Etudiants et élèves de
17 ans et plus 92. Militaires du
contingent 93. Anciens agriculteurs 94. Retraités des affaires 95. Retraités du secteur
public 96. Anciens salariés du
secteur privé 97. Autres personnes non
actives de moins de 17 ans 98. Autres personnes non
actives de 17 à 64 ans 99. Autres personnes non
actives de 65 ans et plus |
13 – Les résultats de l’observation entre 1954 et 1982.
|
Effectifs |
Structures (en%) |
|||||
CSP |
1954 |
1962 |
1968 |
1975 |
1982 |
1954 |
1982 |
Agriculteurs exploitants |
3 966 015 |
3 044 670 |
2 464 156 |
1 650 865 |
1 448 480 |
20.7 |
6.2 |
Salariés agricoles |
1 161 356 |
826 090 |
584 212 |
375 480 |
303 720 |
6.0 |
1.3 |
Patrons de l’industrie et du commerce |
2 301 416 |
2 044 667 |
1 955 468 |
1 708 925 |
1 736 940 |
12.0 |
7.4 |
industriels |
91 067 |
80 660 |
80 720 |
59 845 |
71 340 |
0.5 |
0.3 |
artisans |
757 380 |
637 897 |
619 808 |
533 635 |
573 240 |
4.0 |
2.4 |
Patrons pêcheurs |
18 747 |
19 312 |
18 380 |
15 835 |
13 400 |
0.1 |
0.1 |
Gros commerçants |
181 717 |
172 833 |
210 344 |
186 915 |
209 520 |
0.9 |
0.9 |
Petits commerçants |
1 252 505 |
1 133 965 |
1 026 216 |
912 695 |
869 440 |
6.5 |
3.7 |
Professions libérales et cadres supérieurs |
553 719 |
765 938 |
994 716 |
1 459 285 |
1 809 840 |
2.9 |
7.7 |
Professions libérales |
120 341 |
125 057 |
140 572 |
172 025 |
220 240 |
0.6 |
0.9 |
Professeurs, prof. lit. et
scie |
80 380 |
125 126 |
213 420 |
377 215 |
478 860 |
0.4 |
2.0 |
ingénieurs |
75 808 |
138 061 |
186 184 |
256 290 |
346 420 |
0.4 |
1.5 |
Cadres administratifs sup. |
277 190 |
377 694 |
454 540 |
653 755 |
764 320 |
1.5 |
3.3 |
Cadres moyens |
1 112 543 |
1 501 287 |
2 005 732 |
2 764 950 |
3 254 400 |
5.8 |
13.8 |
Instituteurs |
384 984 |
421 189 |
562 096 |
737 420 |
828 440 |
2.0 |
3.5 |
Services médicaux et sociaux |
110 101 |
172 748 |
298 455 |
432 080 |
1.8 |
||
Techniciens |
193 206 |
343 986 |
530 716 |
758 890 |
922 520 |
1.0 |
3.9 |
Cadres administratifs moyens |
534 353 |
626 011 |
740 172 |
970 185 |
1 071 360 |
2.8 |
4.6 |
Employés |
2 068 118 |
2 396 418 |
2 995 828 |
3 840 700 |
4 676 500 |
10.8 |
19.9 |
Employés de bureau |
1 627 548 |
1 885 508 |
2 371 128 |
3 104 105 |
3 745 700 |
8.5 |
15.9 |
Employés de commerce |
440 570 |
510 910 |
624 700 |
736 595 |
930 800 |
2.3 |
4.0 |
Ouvriers |
6 489 871 |
7 060 790 |
7 705 752 |
8 207 165 |
8 266 120 |
33.8 |
35.1 |
Contremaîtres |
3 052 953 |
306 142 |
363 216 |
443 305 |
464 340 |
15.9 |
2.0 |
Ouvriers qualifiés |
2 286 459 |
2 630 040 |
2 985 865 |
3 291 520 |
14.0 |
||
Ouvriers spécialisés |
1 816 265 |
2 394 102 |
2 670 328 |
2 946 860 |
2 605 020 |
9.5 |
11.1 |
Mineurs |
239 155 |
191 588 |
144 696 |
73 440 |
49 240 |
1.2 |
0.2 |
Marins pêcheurs |
54 865 |
48 061 |
43 344 |
38 280 |
33 240 |
0.3 |
0.1 |
Apprentis ouvriers |
201 310 |
251 044 |
256 208 |
106 690 |
123 520 |
1.0 |
0.5 |
Manoeuvres |
1 125 323 |
1 583 394 |
1 597 920 |
1 612 725 |
1 699 240 |
5.9 |
7.2 |
Personnels de service |
1 017 789 |
1 047 312 |
1 166 252 |
1 243 490 |
1 531480 |
5.3 |
6.5 |
Gens de maison |
320 758 |
306 602 |
280 876 |
234 355 |
214 520 |
1.7 |
0.9 |
Femmes de ménages |
239 408 |
222 467 |
227 328 |
154 100 |
111 920 |
1.2 |
0.5 |
Autres personnels de service |
457 623 |
518 243 |
658 048 |
855 035 |
1 205 040 |
2.4 |
5.1 |
Autres catégories |
513 937 |
564 023 |
525 860 |
524 000 |
497 640 |
2.7 |
2.1 |
Artistes |
45 089 |
42 184 |
50 196 |
59 075 |
73 340 |
0.2 |
0.3 |
Clergé |
171 394 |
165 634 |
137 124 |
116 945 |
61 000 |
0.9 |
0.3 |
Armée et police |
297 454 |
356 205 |
338 540 |
347 980 |
363 300 |
1.6 |
1.5 |
Total |
19 184 764 |
19 251 195 |
20 397 976 |
21 774 860 |
23 525 120 |
100.0 |
100.0 |
2 – Un produit historiquement daté qui doit évoluer : la
nouvelle nomenclature de 1982.
21- Les motifs du changement de la nomenclature
Tout ce qui précède montre le caractère
empirique et perfectible de la construction des catégories. Mais les
difficultés de méthodes ne sont pas seules en cause. En effet, la société
elle-même se modifie et entraîne des changements dans les nomenclatures. Le
texte qui suit fait le point d'une évolution qui fait ressortir les
caractéristiques essentielles des catégories utilisées avant 1982.
LES CATÉGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES,
UN PRODUIT DE L’HISTOIRE
La façon de nommer des
professions ou des groupes de professions reflète un moment et un état des
rapports entre ces groupes : non seulement les mots évoluent, mais les
ensembles désignés évoluent aussi. Ainsi, au début du siècle, les groupes clairement
perçus étaient d'une part les patrons, et d'autre part les salariés, avec de plus
une distinction nette entre ouvriers et employés. Si, pour les patrons, une échelle liée à l’importance de l’entreprise
était claire, cette échelle n’apparaissait pas chez les salariés, en dehors de la distinction ouvriers employés. En revanche étaient
perçues comme formant un groupe les professions impliquant des études
supérieures, et sou vent désignées comme « professions libérales » ; elles rassemblaient
non seulement des médecins ou des avocats, mais aussi des professeurs ou des
ingénieurs salariés : et groupe est encore désigné sous le nom de « professions
» dans les pays anglo-saxons.
Le
terme de cadres, désignant de façon large des catégories supérieures ou moyen nés
salariées, n'apparaît avec ce sens que dans les années 30. Aux petites
entreprises de type familial se substituent peu à peu des organisations plus
grandes impliquant des hiérarchies complexes, dont les membres ont de plus en
plus souvent des formations particulières, et passent par des marchés d'emploi
de type nouveau : des catégories à base institutionnelle voient donc le jour à
travers la mise en place de ces marchés d'emploi, des négociations collectives
entre salariés et patronat. De telles catégories existaient déjà depuis
longtemps pour certaines professions garanties par un diplôme, comme les médecins, mais s'étendent largement
à partir de cette époque.
L'immédiat après-guerre
est marqué par la généralisation à presque tous les sec leurs et à toutes les
régions, d'un vocabulaire unifié pour désigner les catégories, ouvrières ou non
: ce sont les catégories « PARODI », de manoeuvres, ouvriers spécialisés,
ouvriers qualifiés, employés, techniciens, agents de maîtrise et cadres. Même
si les frontières pratiques de ces catégories ne sont pas toujours précises,
elles contribuent à fixer nettement une hiérarchie du salariat, dans des mots à
résonance juridique, puis que inscrits dans des textes ayant des effets normatifs
importants : législation du travail, systèmes de retraites, représentation
professionnelle dans diverses institutions. Par un effet en retour, cette
inscription dans des catégories et des mots de portée juridique contribue à
donner une existence à des groupes, en créant des intérêts communs, des
perceptions communes par les autres groupes, et donc à les faire passer dans le
langage courant : ils constituent l'ossature du découpage des salariés dans la nomenclature
socioprofessionnelle élaborée vers 1950.
L'instrument est un
produit de l'histoire non seulement parce que les mots évoluent et changent de
sens, mais aussi parce que, classant des individus à travers leurs professions,
on suppose une certaine correspondance entre les professions et les attributs
sociaux de leurs titulaires. Or, cette correspondance évolue, elle aussi. La
complexité de l'instrument vient de ce qu'il trie, à la fois et
inséparablement, des places dans le système des professions, et les individus
qui les occupent : les objets classés sont en général des intitulés de
professions, mais les regroupements ont été
effectués en tenant compte autant que possible des caractéristiques des
individus qui occupent ces professions. Les critères de proximité entre
professions sont (ou devraient
être) donc liés à la fois à leurs conditions d'exercice et aux particularités
de leurs titulaires : ces dernières peuvent évoluer dans le temps, et le profil
social d'une profession ou d'un groupe de professions peut être complètement
changé en quelques décennies, comme c'est le cas par exemple si une profession
se féminise, se rajeunit, ou est occupée par des individus plus diplômés, ou
d'origine sociale plus élevée. Les enseignants, les médecins, les travailleurs
sociaux, les artisans fournissent divers exemples de telles évolutions.
L'actuelle
nomenclature est donc structurée d'une part par la distinction entre salariat
et non salariat, et d'autre part sur une double hiérarchie, interne à chacun de
ces deux ensembles,celle du salariat étant beaucoup plus détaillée. Une
trentaine de« catégories » (à deux chiffres) sont regroupées en neuf « groupes
» socioprofessionnel:(à un chiffre), les plus fréquemment utilisés, quand les
effectifs analysés ne permettent pas l'emploi des trente catégories à deux
chiffres. Le découpage fin permet donc non seulement la mise en évidence d'une
« échelle sociale » partiellement liée à l'échelle des revenus ou à celle des
diplômes, mais aussi de distinguer, pour certains niveaux de cette échelle, des
catégories ayant des comportements particuliers selon qu'elle:sont plutôt
fortement diplômées (enseignants, intellectuels), plutôt de revenus
élevé:(patrons) ou cumulant ces deux traits (certaines professions libérales).
Les catégories ouvrières peuvent être analysées selon l'échelle classique de la
qualification, mais celle-ci ne recoupe qu'en partie les clivages liés à la stabilité
de l'emploi. Or, dans les marchés de l'emploi
segmentés entre des emplois
stables et emplois précaires, qui se développent actuellement, de tels clivages
sont importants ; ils ne sont pas encore appréhendés par la statistique
nécessairement en retard, dans ses classements, sur les découpages juridiques en usage.
(Alain Desrosières
et Laurent Thévenot, Données sociales 1981)
Les
raisons de modifier la nomenclature sont deux de deux ordres. D’ordre technique
d’abord : il s’agit de réduire la part d’incertitude dans la définition
des catégories, de permettre le rapprochement d’autres point de vue sur la
réalité sociale. Mais elles sont aussi d’ordre méthodologique. En effet,
au-delà de la pratique du classement qui est l’affaire des spécialistes, se
pose le problème de l’adaptation de la nomenclature à une société qui évolue.
D’autant plus que cette société n’est pas neutre par rapport aux classements
proposés, comme le montre le document qui précède. L’objectif est ici
essentiellement d’aboutir à une homogénéité plus grande des groupes sociaux
ainsi constitués, sans tomber dans un émiettement excessif rendant la
nomenclature inutilisable. Ici, comme dans beaucoup de domaines, « tout ce
qui est simple est faux, mais tout ce qui est compliqué est inutilisable ».
22- La nomenclature depuis 1982
221- La nomenclature utilisée depuis
1982.
Niveau agrégé (8 postes
dont 6 pour les actifs occupés) |
Niveau de publication
courante (24 postes dont 19 pour les actifs) |
Niveau détaillé (42 postes
dont 32 pour les actifs) |
1.
Agriculteurs exploitants |
10. Agriculteurs
exploitants |
11.
Agriculteurs sur petite exploitation 12.
Agriculteurs sur moyenne exploitation 13.
Agriculteurs sur grande exploitation |
2.
Artisans, commerçants et chefs d’entreprises |
21. Artisans |
21. Artisans |
22. Commerçants et
assimilés |
22.
Commerçants et assimilés |
|
23. Chefs d’entreprises de
10 salariés et plus |
23. Chefs d’entreprises de
10 salariés et plus |
|
3.
Cadres et Professions intellectuelles supérieures |
31. Professions libérales |
31. Professions libérales |
32. Cadres de la fonction
publique et professeurs |
33.
Cadres de la fonction publique 34.
Professeurs, professions scientifiques 35.
Professions de l’information, des arts et des spectacles |
|
36. Cadres d’entreprises |
37.
Cadres administratifs et commerciaux d’entreprises 38.
Ingénieurs et cadres techniques d’entreprises |
|
4.
Professions intermédiaires |
41. Professions
intermédiaires de l’enseignement, de la santé, de la fonction publique, etc. |
42.
Instituteurs et assimilés 43.
Professions intermédiaires de la santé et du travail social 44.
Clergé, religieux 45.
Professions intermédiaires administratives de la fonction publique |
46. Professions
intermédiaires administratives et commerciales des entreprises |
46. Professions
intermédiaires administratives et commerciales des entreprises |
|
47. Techniciens |
47. Techniciens |
|
48. Contremaîtres, agents
de maîtrise |
48. Contremaîtres, agents
de maîtrise |
|
5. Employés |
51.
Employés de la fonction publique |
52.
Employés civils et agents de service de la fonction publique 53.
Policiers et militaires |
54.
Employés administratifs d’entreprises |
54.
Employés administratifs d’entreprises |
|
55.
Employés de commerce |
55.
Employés de commerce |
|
56.
Personnels des services directs aux particuliers |
56.
Personnels des services directs aux particuliers |
|
6. Ouvriers |
62.
Ouvriers qualifiés |
62.
Ouvriers qualifiés de type industriel 63.
Ouvriers qualifiés de type artisanal 64.
Chauffeurs 65.
Ouvriers qualifiés de la manutention, du magasinage et du transport |
66.
Ouvriers non qualifiés |
67.
Ouvriers non qualifiés de type industriel 68.
Ouvriers non qualifiés de type artisanal |
|
69.
Ouvriers agricoles |
69.
Ouvriers agricoles |
|
7. Retraités |
71.
Anciens agriculteurs exploitants |
71.
Anciens agriculteurs exploitants |
72.
Anciens artisans, commerçants, chefs d’entreprises |
72.
Anciens artisans, commerçants, chefs d’entreprises |
|
73.
Anciens cadres et professions intermédiaires |
74.
Anciens cadres 75.
Anciennes professions intermédiaires |
|
76.
Anciens employés et ouvriers |
77.
Anciens employés 78.
Anciens ouvriers |
|
8.
Autres personnes sans activité professionnelle |
81.
Chômeurs n’ayant jamais travaillé |
81.
Chômeurs n’ayant jamais travaillé |
82.
Inactifs divers (autres que retraités) |
83.
Militaires du contingent 84.
Elèves, étudiants 85.
Personnes diverses sans activité professionnelle de moins de 60 ans (sauf retraités) 86.
Personnes diverses sans activité professionnelle de 60 ans et plus (sauf
retraités) |
D’après INSEE, 1982
Voir en annexe 2 les chiffres des PCS
depuis 1982.
222 -
Recherche d'une plus grande homogénéité des catégories
·
Les agriculteurs sont un groupe nettement individualisé, mais
qui présente des clivages importants. Le flou que nous avions remarqué dans l'analyse des agriculteurs
exploitants est considérablement réduit dans la nouvelle nomenclature, où
l'on distingue nettement les exploitations suivant leur taille et leur
spécialité, de façon à rendre compte des contrastes du monde paysan.
·
Pour les salariés, la notion de cadre, qui avait eu
tendance à prendre une ampleur injustifiée est sensiblement plus précise. En
effet, la publicité en fait un type de consommateur sans que cela recouvre une
homogénéité sociale véritable. Le terme « cadre » est désormais pris au sens
des conventions collectives. L'intitulé « cadres moyens » disparaît au profit
de celui de professions intermédiaires, qui
correspond mieux au contenu de ce groupe.
·
La distinction entre secteur privé et secteur
public est pratiquée de façon systématique.
·
Certaines professions bien typées socialement trouvent la
catégorie qui leur convient le mieux. Par exemple, les chauffeurs routiers, qui
étaient dilués dans les ouvriers spécialisés, trouvent maintenant une catégorie
chauffeurs plus logique.
·
Les catégories 7 (« personnels de service ») et 8 (« divers :
armée, clergé, police ») sont ventilées dans les autres catégories (essayez de les
retrouver). Ainsi réintégrées, elles perdent l'aspect de résidu qu'elles
avaient dans l'ancienne nomenclature.
223- CATEGORIES
SOCIOPROFESSIONNELLES ET PROFESSIONS ET CATEGORIES SOCIALES
Parallèlement au code des catégories
socioprofessionnelles existait un code des
professions qui ne permettait pas un passage facile de la profession à la
catégorie socioprofessionnelle correspondante. Comme le montre l'exemple
suivant, la profession de maçon correspondait à 7 C.S. différentes.
Un maçon
pouvait être soit artisan (s'il était à son compte, avec moins de 5 salariés),
soit industriel (à son compte, avec plus de 5 salariés), soit apprenti, soit
ouvrier spécialisé, soit O.S., soit manœuvre, soit
contremaître, selon la qualification et la position hiérarchique.
La nouveauté
consiste à fusionner les deux codes et à détailler les professions de telle
façon que leur rattachement aux C.S. correspondantes
se fasse sans difficulté.
C'est par
conséquent au point de départ que l'effort de précision est demandé. On ne se
contentera donc pas de l'indication « maçon » fournie par l'intéressé ;
on s'efforcera par un jeu de questions de compléter cette indication spontanée.
On discriminera ainsi facilement l'artisan du salarié, le qualifié du non
qualifié, etc. (se reporter à la feuille de recensement ci-après).
On pourra ainsi construire la
profession :
• 6841 ouvrier
non qualifié du gros œuvre dans le bâtiment.
Cette profession s'intégrera facilement à la C.S.
détaillée 68 : ouvriers non qualifies de
type artisanal ; à la catégorie intermédiaire 66 -.ouvriers non
qualifiés, et au groupe 6 : ouvriers.
• 2 151 artisans maçons, plâtriers,
profession intégrée à la C.S.
21 : artisans, et au groupe 2 : artisans, commerçants et chefs
d'entreprises.
Indépendamment
de son intérêt la nouvelle nomenclature a entraîné une discontinuité dans les
séries et des effets de seuils. Par exemple, dans les CSP, on classait en
« industriels » les chefs d’entreprises qui employaient six salariés
et plus ; au dessous de 6 ils étaient « artisans ». Les
« gros commerçants » employaient 3 salariés et plus, au dessous
c’étaient de « petits commerçants ». Dans la nomenclature des PCS,
les « artisans » et « commerçants » ont moins de 10
salariés. A partir de 10 salariés, on est « chefs d’entreprises ».
Le tableau ci-dessous fournit la
clef de passage des CSP aux PCS et montre qu’une partie non négligeable des
actifs s’est trouvée reclassée.
Numéro dans la Nouvelle nomenclature des PCS |
1 |
2 |
3 |
4 |
5 |
6 |
81 |
Effectifs en milliers |
Répartition (ensemble %) |
Code de 1954 (CSP) |
|||||||||
0 Agriculteurs exploitants |
99.6 |
0.4 |
|
|
|
|
|
1 448 |
6.1 |
1 Salariés agricoles |
4.2 |
|
0.4 |
4.2 |
1.2 |
19.6 |
0.4 |
304 |
1.3 |
2 Patrons de l’industrie et du commerce |
1.0 |
34.5 |
0.8 |
2.2 |
0.8 |
0.7 |
|
1 737 |
7.4 |
3 Professions libérales et cadres supérieurs |
|
4.6 |
73.5 |
20.0 |
1.4 |
0.3 |
0.2 |
1 810 |
7.7 |
4 Cadres moyens |
|
0.3 |
11.5 |
72.7 |
13.1 |
2.1 |
0.3 |
3 254 |
13.9 |
5 Employés |
|
0.5 |
1.8 |
8.8 |
76.9 |
10.9 |
1.1 |
4 677 |
20.0 |
6 Ouvriers |
|
0.2 |
0.4 |
7.3 |
6.8 |
81.8 |
3.5 |
8 266 |
35.0 |
7 Personnels de service |
|
2.8 |
0.3 |
2.9 |
86.4 |
7.0 |
0.6 |
1 533 |
6.5 |
8 Autres catégories |
|
1.1 |
10.5 |
27.5 |
59.2 |
1.3 |
|
498 |
2.1 |
Effectifs (en milliers) |
1 475 |
1 835 |
1 895 |
3 971 |
6 247 |
7 749 |
352 |
23 525 |
|
Répartition (ensemble %) |
6.3 |
7.8 |
8.1 |
16.9 |
26.6 |
32.9 |
1.5 |
100 |
100 |
Lecture :
72.7% des cadres moyens (CSP) ont été reclassés dans la PCS professions
intermédiaires, 13.1% en employés, etc.
Depuis 20
ans, les métiers et les qualifications ont à nouveau évolué, une révision des
PCS est actuellement en cours. (voir
annexe N°4)
3 - Une portée limitée dans le temps et dans l’espace
Comme nous
venons de le voir, les CSP ou PCS sont des produits historiquement situés qu’il
convient de faire évoluer avec les transformations de l’emploi et des modes de
vie. Nous pouvons également émettre quelques limites de nature méthodologique.
Une procédure
d’élaboration sujette à critiques.
Nous n'avons jusqu'ici envisagé que
le problème des nomenclatures et de leur
organisation plus ou moins judicieuse. Cela ne doit pas nous faire penser
qu'une fois constituées leur utilisation va de soi. En réalité, toute la
difficulté se trouve dans la saisie des données, et de la réussite de cette
opération dépend toute la valeur de la statistique.
Comment les choses se passent-elles
pour un recensement ou un sondage dans lequel on cherche à obtenir une
information sur la composition socioprofessionnelle d'une population ? Le plus
simple, pense-t-on, consiste à demander aux intéressés de se situer eux-mêmes
dans la grille des C.S. Ce procédé serait évidemment
le plus économique, mais il suppose une connaissance des définitions précises
qui est rarement réalisée, et il expose surtout à des déformations dictées par
un sentiment d'appartenance tout subjectif : à tort ou à raison, l'opinion
attribue un « standing » différent aux catégories...
On part d'une question sur la profession, mais, nous allons
le voir, rien n'est
simple. L'article de M. Laurent Thévenot dans les Archives et documents
de l'I.N.S.E.E. n° 38 de décembre 1981 analyse les
difficultés que pose cette simple opération. Dans toute enquête on trouve un
pourcentage de non-réponses et de réponses imprécises. Quel sens peut-on leur
donner ?
La non-réponse peut correspondre à une absence de distinction
réelle d'une
profession. Cette situation peut se trouver à la fois dans des industries très
modernes où la définition de la « place » ne recoupe ni les anciennes
professions ni encore moins les métiers, mais également dans les petites
entreprises où la division du travail est peu poussée.
Les réponses vagues ou contradictoires en apparence peuvent
venir de l'in-
compréhension d'une formulation qui paraît pourtant logique. Mais la difficulté
peut
venir également d'une classification autre que celle de l'I.N.S.E.E.
et qui trouble
ainsi la réponse. Des définitions imposées par des administrations peuvent par
conséquent empêcher de voir sa profession autrement qu'à travers ce filtre.
Parfois,
c'est la perception qu'a l'individu de sa situation qui le conduit à refuser ce
qui,
pour le statisticien, fait sa particularité. Le statut d'aide familiale, par
exemple, qui
normalement correspond à l'épouse de l'exploitant agricole quand elle participe
à
l'exploitation est plus ou moins pris en compte selon les cas.
Dans le
cas de la polyculture, où la femme n a pas exactement le même type
de travail que son mari, la notion d'aide familiale passe bien. Il n'en est pas
de
même dans la culture maraîchère, où la femme exerce la même activité que son
époux ; elle se classera alors spontanément comme exploitant agricole. Si cette
distorsion se produit un certain nombre de fois, elle peut altérer les
résultats et
fausser l'interprétation d'une apparente diminution du nombre des aides
familiales,
accompagnée d'une augmentation du nombre des exploitants. Parfois, c'est la
notion même d'activité qui est plus ou moins bien comprise.
L'existence
de réponses complètes ne supprime pas non plus toute difficulté.
La réponse peut être trop complète et introduire de telles nuances que le
chiffrement, c'est-à-dire l'attribution d'une catégorie précise, en est rendu
difficile.
Si la
réponse s'inscrit parfaitement dans les cadres prévus par le statisticien,
est-on bien sûr que l'intéressé n'a pas lui-même occulté une particularité qui
aurait
modifié le classement s'il avait été fait par un spécialiste ?
L'ensemble de ces
difficultés est résumé par l'auteur dans l'exemple suivant :
Ainsi dans un ménage où le
mari est employé (niveau maîtrise) au ministère de la
Marine et qui n'a ainsi que son épouse, que le certificat d'études primaires
comme
diplôme d'enseignement général, la femme (qui élève ses 5 enfants) manifeste
beaucoup
de bonne volonté en répondant aux questions de l'enquêteur venu la réinterroger
: mais
elle ne peut préciser la situation professionnelle de son mari qui n'a
mentionné, à la
question sur la profession, que l'intitulé vague « agent administratif». Elle
signale
simplement qu'il s'est occupé de la vente d'avions Bréguet
l'année précédente. En
revanche dans un ménage de cadres la femme, assistante de réalisation dans une
station de radio, a rempli tous les questionnaires du ménage avec un grand luxe
de
détail et en surchargeant bon nombre de réponses. Elle explique avec
complaisance
qu'elle a eu beaucoup de mal à se classer dans les grilles du questionnaire qui
n'étaient jamais adaptées à sa situation particulière. Ainsi, étant titulaire
d'un Brevet
de Technicien des Métiers de la Musique qui correspond tout à fait au
Baccalauréat de
technicien, brevet de technicien, etc., de la question sur le diplôme, elle a
jugé nécessaire d'ajouter cet intitulé complet à la question « autres diplômes
» parce que, dit-elle,
ce diplôme lui paraît « quelque chose d'un peu à part ». L'homme avec qui elle
vit, qui
occupe l'emploi de statut inférieur au sien de technicien du son, et qu'elle a
surclassé
dans la catégorie ingénieur ou cadre, développe au contraire un point de vue
radicale-
ment opposé. Il pense que les questionnaires sont faits pour que tout le monde
y trouve
sa place, qu'on doit s'adapter aux grilles proposées sans les modifier, bref
qu'il n'y a
pas d'inclassables. On devine les conséquences, tout à fait divergentes, que
ces attitudes différentes à l'égard du questionnaire entraîneront, dans la
phase suivante du
chiffrement. Dans le premier cas (l'agent administratif) l'incertitude sera
très grande,
les choix de la chiffreuse ou les redressements automatiques opérés auront une
grande
influence sur le résultat ; dans le deuxième (la femme assistante de
réalisation) l'information est très riche mais en quelque sorte à côté du
questionnaire, et seule une chiffreuse qualifiée et des procédures manuelles
peuvent permettre de la mobiliser ; dans le troisième (le technicien du son)
l'enquêté opère lui-même les redressements et procure au statisticien une
matière première tout à fait conforme à ses attentes, sans qu'on puisse
affirmer pour autant qu'elle soit de bonne qualité (les catégories statistiques
ont pu être mal comprises). (Laurent Thévenot. Op.cit)
A supposer que l'on ait pu opérer une correction
de ces différentes erreurs, le
statisticien n'est pas à l'abri d'autres périls. Ils se situent alors au niveau
du
chiffrement qui, comme nous l'avons dit, consiste à passer de la réponse
(ou des
réponses) de l'intéressé à l'attribution d'une profession codée en chiffres,
d'où le
nom de l'opération.
Au flou de
la réponse peut en effet s'ajouter le flou introduit lors de l'opération de
chiffrement.
Une
grande partie de la difficulté vient de la plus ou moins grande stabilité
des appellations professionnelles. On peut déterminer trois sortes de noyaux
durs
qui donnent lieu à des appellations stables où la marge d'erreur est donc
réduite.
M. Thévenot distingue :
·
les charges (ex.
notaire) dont la définition légale et l'enracinement traditionnel
favorisent la stabilité ;
·
les professions (ex., médecin) dont le
titre est défendu par un groupe ;
·
les métiers : qui supposent
un apprentissage et ont une image sociale nette, en
particulier dans les métiers touchant l'alimentation : boucher, boulanger, etc.
Mais, aux alentours de ces îlots bien déterminés, beaucoup
d'appellations phase artisanale de la production. Les salariés occupent une
place dans un processus de production qui les définit davantage par
rapport à ce processus que par rapport à leurs qualités intrinsèques. Le cas
est net, par exemple, pour les ouvriers spécialisés (O.S.),
qui sont définis par la nature de la machine qu'ils conduisent et non par une
qualification personnelle. Cette logique tend à envahir les entreprises,
proportionnellement à leur intensité capitalistique, c'est-à-dire à la part de
facteur capital entrant dans la combinaison productive (cherchez des exemples).
Cette évolution est renforcée par les entreprises qui
trouvent leur avantage à ce que les salariés ne puissent pas s'attacher à un
titre susceptible d'être monnayé. On voit du même coup la difficulté pour le
statisticien, et son inclusion, qu'il le veuille ou non, dans un jeu social où
la catégorie est autant un enjeu qu'un constat.
Au final nous pouvons retenir que des difficultés
existent :
·
au niveau du découpage : le découpage des CSP comme nous
l’avons vu par l’exemple des industriels et des artisans opère souvent à des
regroupements de personnes aux positions différentes.
·
Au niveau de questionnement : les enquêtes dans certains
milieux sont difficiles et donnent des résultats incertains.
·
Au niveau du codage : certaines personnes sont à la
limites de deux catégories on trouve des salariés qui possèdent un commerce,
etc. Ainsi deux enquêteurs pourront-ils classer le même individu dans des
catégories différentes.
Il convient également de souligner que l’outil PCS/CSP
n’est pas de portée universelle et ne permet pas de comparaison internationale
puisqu’il est spécifiquement français. Ainsi le mot « cadre » n’a pas
d’équivalent véritable en anglais. On distingue dans les pays anglo-saxons les
« professionnals » (professions libérales et
salariés de haute compétence technique, tes qu’ingénieurs et chercheurs) des
« managers » (dirigeants d’entreprises, salariés ou non).
Par ailleurs les PCS/CSP sont mieux adaptées au
classement des actifs qu’à celui des ménages. Dans un ménage, les adultes
appartiennent fréquemment à des catégories différentes. On classe néanmoins le
ménage dans son ensemble dans une catégories qui est celle de la
« personne de référence ». Mais la détermination de celle-ci comporte
souvent une part d’arbitraire. Où classer par exemple, un ménage ou l’un des
conjoints est « employé » et l’autre « ouvrier » ?
Ceci nous amène à se poser la question de la liaison éventuelle avec le concept
sociologique de classes sociales.
4 - Des CSP/PCS aux classes sociales.
41- La CSP entre catégorie et classe
sociale
Si on met l'accent sur certains critères d'une CSP -
par exemples, ses membres exercent la même profession, ont le même statut et la
même qualification, etc. -, une CSP s'apparente plutôt à une catégorie sociale.
Mais si l'on ajoute, comme le fait l'INSEE : « Vivant
dans des situations objectives voisines, ayant des conditions de travail, des
formations et souvent des origines sociales analogues, des moyens économiques,
des conditions de vie et de logement du même type, les personnes d'une même
catégorie socioprofessionnelle ont une probabilité notable d'avoir des
pratiques et des projets semblables, parce que produits par des conditions
voisines », nous sommes très près des critères de la « classe objective »
énumérés par Bourdieu.
Regroupement des CSP selon la classification de Pierre
Bourdieu proposé par A. Accardo et P. Corcuff dans « La sociologie de Pierre Bourdieu »
(le mascaret, 1986)
Classes |
Fractions de classes |
Catégories socioprofessionnelles (ancienne nomenclature) |
CLASSES SUPERIEURES ou DOMINANTES |
Fraction dominante a) bourgeoisie ancienne b) bourgeoisie nouvelle |
Industriels et gros commerçants Gros exploitants agricoles Professions libérales Cadres supérieurs du privé |
Fraction dominée |
Ingénieurs, professeurs et assimilés, professions intellectuelles |
|
CLASSES MOYENNES |
Petite
bourgeoisie nouvelle |
Métiers artistiques ou semi artistique (mode, décoration, publicité, spectacle, artisanat d’art… Métiers intellectuels et semi intellectuels (journalistes, animateurs culturels, éducateurs, travailleurs sociaux) Métiers de conseil (psychologues, orienteurs, orthophonistes, esthéticiens, conseillers conjugaux…) Professions de présentation et de représentation (animatuers de tourisme, hôtesses, guides, attaché de presse, relationnistes….) Secrétaires et infirmières Techniciens supérieurs (les plus jeunes et les plus diplomés) |
Petite bourgeoisie d’éxécution dite aussi de promotion (pour les plus jeunes en ascension) |
Cadres moyens, techniciens Employés de commerce et de bureau Instituteurs, PEGC Gendarmes, policiers |
|
Petite bourgeoisie traditionnelle (dite aussi en déclin) |
Patrons de PME Artisans traditionnels |
|
CLASSES POPULAIRES |
Ouvriers |
Ouvriers (toutes catégories), contremaîtres Manœuvres, marin pêcheurs Petits agriculteurs |
Petits |
Personnel de service. |
Deux exemples d’essai de regroupement des CSP/PCS en classes sociales
Classement de Claude THELOT (Tel père, tel fils ? Dunod
1986) |
Classement de Marie DURU « Les illusions de la mobilité sociale »AE
06/88 |
CLASSES DIRIGEANTES Industriels, gros commerçants, professions libérales,
professeurs, ingénieurs, cadres administratifs supérieurs |
CLASSES DOMINANTES Professions libérales, cadres supérieurs, ingénieurs,
professeurs, chef d’entreprises (+ de 10 salariés) |
CLASSES MOYENNES Instituteurs, personnels de santé, tecniciens,
cadres administratifs moyens, employés, artisans, patron pêcheurs, petits
commerçants, personnel de service, clergé, artistes, armée et police (sauf
officiers) |
CLASSES MOYENNES OU PETITE BOURGEOISIE Artisans, commerçants, professions intermédiaires,
employés, contremaîtres |
CLASSES POPULAIRES Agriculteurs et salariés agricoles, ouvriers (dont
contremaîtres) |
CLASSES POPULAIRES Agriculteurs, ouvriers, personnel de service |
42
- La CSP, un indice fiable de
l'appartenance de classe
Des études sociologiques mettent en évidence la
corrélation étroite qui existe entre CSP d'une part, et revenu et diplôme
d'autre part. Or ces deux indicateurs (revenu et diplôme) sont également les
principaux critères de l'appartenance de classe. Classe sociale et CSP sont
donc étroitement liées.
43
- Les CSP, un instrument de synthèse ?
• Elles représentent une tentative de dépassement de l'alternative
nominalisme/réalisme présentée plus haut. Elles sont construites sur la base de
représentations opérant dans la société. Ainsi, les actifs classés dans une
catégorie doivent se reconnaître comme faisant effectivement partie de cette
catégorie et être considérés par les autres comme en faisant partie. Néanmoins
elles n'échappent pas aux difficultés rencontrées par toute nomenclature : les
postes ne sont pas homogènes et les frontières entre catégories sont floues.
• Les reclassements entraînés par le changement de nomenclature de 1982
ont abouti à une «moyennisation» de la société
(diminution des ouvriers, augmentation des employés, des professions
intermédiaires). Dans quelle mesure ces changements sont-ils «nominaux» ou
«réels» ? La réponse à cette question est un enjeu important du débat entre les
tenants du consensus, qui appuient leur vision d'une société harmonieuse sur
l'extension des classes moyennes, et les tenants du conflit/ pour qui les
classes moyennes ne peuvent que rejoindre la bourgeoisie ou le prolétariat,
accentuant ainsi la bipolarisation de la société.
Evolution des PCS et
regroupement en trois classes
44 - Les catégories socioprofessionnelles ne sont pas des
classes sociales
La profession n'est pas un indice suffisant de
l'appartenance de classe. Ainsi, il ne suffit pas d'être un chef d'entreprise
pour être bourgeois, il faut en outre posséder un capital d'une certaine ampleur,
d'une certaine ancienneté ; il faut en outre assimiler les manières de vivre,
de penser, de la bourgeoisie, son « habitus » de classe. A défaut on n'est
qu'un « parvenu ». C'est ce qui permet d'affirmer que les catégories
socioprofessionnelles « rangent » mais ne « classent » pas.
Les CSP, comme nous l'avons déjà signalé, prennent comme référence les
individus et particulièrement les actifs. Or on peut penser, comme J.
Schumpeter, que «c'est la famille et non la personne physique qui est le
véritable individu pour une théorie des classes sociales». Avis que partageait
E. Goblot : «Chacun appartient à une famille avant d'appartenir à une classe.
C'est par sa famille que le bourgeois-né est
bourgeois ; c'est avec sa famille qu'il s'agit de le devenir. [...] Pour cela,
une ou deux générations sont souvent nécessaires. »
Lecture complémentaire souhaitable de l’annexe 1.
Catégories socioprofessionnelles et
classes sociales montrent des différences quant aux intentions qui ont présidé
à leurs conceptions et orientent leurs utilisations.
- Les CSP doivent permettre des
recensements de chaque catégorie, alors que le dénombrement des classes
sociales n'a guère de sens. Les CSP sont plus empiriques et statistiques, et
les classes sociales plus théoriques et sociologiques.
- Néanmoins,
les sociologues ne sauraient guère aujourd'hui se passer des catégories
socioprofessionnelles. Il faudrait en effet beaucoup de moyens (en termes de
temps et d'argent) pour élaborer une autre typologie et ce serait se priver
d'une source considérable de connaissances, compte tenu des innombrables
travaux qui utilisent les CSP sur lesquels il serait regrettable de faire
l'impasse.
RETENONS
• Conceptions réaliste et nominaliste
s'opposent depuis le XIXe siècle sur la question des classes
sociales.
• Si le concept de classe sociale est aujourd'hui de plus en
plus controversé, il reste néanmoins
fondamental pour tenter de comprendre pourquoi l'égalité des droits
n'entraîne pas l'égalité des chances et des positions sociales.
• Les catégories socioprofessionnelles sont un instrument
fondamental pour l'étude de la stratification en France.
• Elles servent de base à l'étude des inégalités sociales,
mais on ne saurait les confondre avec les classes sociales.
Les CSP ne font pas les classes (Alternatives économiques Hors série
N°29)
Les catégories socioprofessionnelles constituent l'outil statistique le
plus fréquemment utilisé pour rendre compte des inégalités sociales. Un instrument
qui cadre mal avec la vision de la société définie par l'analyse marxiste des
classes.
par Alain Bihr et Roland Pfefferkorn
Les études statistiques de la réalité sociale à partir des catégories
socioprofessionnelles (CSP) de l'Insee fournissent un matériau empirique
irremplaçable et permettent une investigation systématique des inégalités
sociales. En revanche, elles ne peuvent se substituer à une analyse des classes
sociales. Certes, les CSP ne sont pas de simples agrégats statistiques. Comme le
soulignent Alain Desrosières et Laurent Thévenot (1),
elles ont permis de mettre en évidence les " cohérences locales " le
long du " grand axe " de la hiérarchie sociale. Mais ces catégories
ne constituent pas des classes sociales, ni même des fractions ou des couches à
l'intérieur de classes.
Les CSP regroupent des individus possédant des attributs sociaux communs,
tout particulièrement une position socioprofessionnelle. Or, l'appartenance
d'une personne à une classe sociale est doublement médiatisée. En premier lieu,
par son appartenance à une famille, voire à un ménage.
En second lieu, par l'ensemble de sa trajectoire sociale : son origine et ses
positions sociales successives sont plus significatives que la position occupée
au moment d'une enquête, qui peut n'être que transitoire. D'autre part, les CSP
sont forcément plus ou moins hétérogènes. Dans une même profession se côtoient
en effet des individus dont les positions dans les rapports de production, pour
ne parler que d'eux, peuvent être extrêmement diverses, voire franchement
opposées. Inversement, des individus exerçant des professions différentes
relèvent pourtant d'une même position dans les rapports de production, et donc
de classes.
Des positions différentes dans les rapports de production
Ainsi, la catégorie des agriculteurs exploitants regroupe à la fois des
agriculteurs à la tête de petites exploitations n'employant habituellement
qu'une main-d'oeuvre familiale, de véritables entrepreneurs à la tête
d'exploitations plus importantes, mises en valeur par une main-d'oeuvre
salariée, et enfin des propriétaires fonciers, petits ou gros, louant leurs
terres à des fermiers ou à des métayers, mais qui se déclarent comme
agriculteurs exploitants.
De même, la catégorie des artisans, commerçants et chefs d'entreprise mêle, d'une part, des artisans et petits commerçants, et
d'autre part, des capitalistes de l'industrie ou du commerce. Les premiers
mettent en oeuvre, pour l'essentiel, leur seule force de travail et celle
d'autres membres de leur famille ; les seconds constituent, pour la plupart, ce
que Marx appelait des " capitalistes formels ", dont le travail
personnel continue à contribuer à la mise en valeur directe de leur capital. De
plus, parmi les artisans, figurent aussi, et de plus en plus, des " prolétaires
" déguisés en travailleurs indépendants.
La catégorie cadres et professions intellectuelles supérieures n'est pas
moins hétérogène. Les cadres dirigeants, ainsi que les membres de la haute
administration occupent une position de " fonctionnaires de l'accumulation
du capital ", comme disait Marx. Les premiers veillent à assurer la
rentabilité et la valorisation de capitaux, les seconds ont en charge le
maintien et la reproduction de l'ordre social. Ils font donc partie, à notre
sens, de la classe capitaliste.
En revanche, le reste des cadres, en fait la grande masse, est chargé de
tâches d'organisation administrative ou juridique, de conception scientifique
ou technique, d'inculcation idéologique et de contrôle. Ils encadrent souvent
des salariés d'exécution et disposent d'une plus ou moins grande autonomie dans
leur travail, mais ils sont exclus de toute fonction de direction. Ils font
partie de ce que l'on peut nommer l'encadrement capitaliste. Quant aux membres
des professions libérales, ils se répartissent eux-mêmes entre la classe
capitaliste, l'encadrement et la petite bourgeoisie.
La catégorie des professions intermédiaires est moins hétérogène. Elle
rassemble essentiellement des membres de l'encadrement, mais aussi certains
agents de maîtrise, techniciens ou cadres administratifs plus proches, par leur
position dans la division du travail, par leur faible degré de formation et
leur niveau de rémunération, des ouvriers et des employés que du reste des
professions intermédiaires.
La catégorie incontestablement la plus homogène est celle des ouvriers
que l'on peut classer dans le " prolétariat ", tout comme la majeure
partie des employés, hommes et surtout femmes, le reste rejoignant
l'encadrement. Seule une étude empirique peut, au cas par cas, décider de la
position exacte de chacun.
La catégorie des inactifs est, au contraire, très hétérogène. Les
retraités, en effet, ont occupé des positions fort différentes au cours de leur
vie active. Quant à la sous-catégorie des autres
inactifs, elle constitue un véritable fourre-tout, dans lequel se mêlent les
plus défavorisés et les plus fortunés.
La classe capitaliste, une appellation qui semble aujourd'hui préférable
à la vénérable bourgeoisie, est sans doute la moins facilement repérable dans
et par la nomenclature des CSP. Elle est en effet
éparpillée entre plusieurs catégories : les exploitants agricoles, les
artisans, commerçants et chefs d'entreprise, les cadres et professions
intellectuelles supérieures et les inactifs. Et à l'intérieur de chacune, la
classe capitaliste ne représente qu'une minorité, camouflée par la masse
elle-même hétéroclite des agents d'autres classes.
Cette hétérogénéité des CSP s'explique aisément. La structure de classes
d'une société définit, sur la base de l'analyse des rapports sociaux, un
certain nombre de positions ou de places abstraites. Pour situer une catégorie
sociale donnée (quel que soit son mode de définition) et a fortiori un groupe
(une famille ou un ménage) ou un individu par rapport à ces positions abstraites,
il faut une étude empirique, au cas par cas, qui d'ailleurs ne réduit pas toute
incertitude ou ambiguïté. En fait, une société concrète ne se réduit pas à sa
structure de classes.
Il n'y a pas que des riches et des pauvres
Les sociétés capitalistes ne se réduisent pas à deux classes : la classe
capitaliste, c'est-à-dire ceux qui possèdent les moyens de production, et le
prolétariat, ceux qui vendent leur force de travail. S'y ajoutent différentes
classes moyennes. Non seulement celles d'origine précapitaliste, comme la
paysannerie et la petite bourgeoisie, mais aussi la masse en expansion des
couches moyennes salariées.
Passer des CSP aux classes sociales implique également un
changement essentiel de perspective. Les analyses selon les CSP ne permettent
en effet de saisir les inégalités sociales qu'en termes de répartition,
d'inégal accès des individus à des biens rares que sont
la fortune, le pouvoir ou encore le prestige. L'analyse classiste,
du moins celle d'inspiration marxiste, dépasse ce stade pour s'intéresser aux
rapports que les agents sociaux nouent entre eux dans la production de ces
biens. Par exemple, elle n'en reste pas à la simple
opposition descriptive entre riches et pauvres, mais tente de saisir la
dynamique contradictoire du procès de valorisation du capital qui engendre à la
fois richesse et pauvreté, en distribuant inégalement la valeur produite entre
les différents agents de la production. Il reste que la plupart des approches
sociologiques des inégalités sociales, y compris celles opérant formellement à
partir du concept de classes sociales, s'en tiennent à l'analyse des seuls
rapports de répartition (2).Enfin, les analyses des inégalités entre catégories
socioprofessionnelles permettent au mieux d'illustrer la manière dont les
rapports de production engendrent la division de la société en classes : la
manière dont ils assignent une communauté de condition aux membres de chaque
classe, mais aussi la manière dont ils leur font assumer cette condition, la
leur font intérioriser sous forme d'un ensemble de pratiques matérielles,
institutionnelles et symboliques communes.
Mais les classes sociales résultent tout aussi bien des luttes entre
elles, qui les conduisent à se composer (à s'unifier et à s'organiser par-delà
la concurrence entre individus, qui les émiette), mais aussi à se décomposer et
à se recomposer en blocs sociaux rivaux. Elles résultent enfin d'un travail
d'autoproduction (d'autodéfinition pratique et symbolique) au cours de leurs
luttes, qui leur permettent notamment d'affirmer leur conscience de classe. Des
considérations qui sortent totalement du champ des études menées à partir de la
nomenclature des CSP et que seule une sociologie critique des classes permet
d'aborder.
(1) " Les mots et les chiffres : les nomenclatures
socioprofessionnelles ", par Alain Desrosières
et Laurent Thévenot, Economie et Statistique n° 110, avril 1979.
(2) Ainsi, Bourdieu et son école expliquent les pratiques sociales des
différents agents par la combinaison de différents types de capitaux
(économique, social, culturel, symbolique) que les individus peuvent
s'approprier dans le processus de répartition. Mais ils occultent du même coup
les rapports de production et les processus d'exploitation qu'ils impliquent,
responsables de clivages sociaux plus décisifs.
Les catégories socioprofessionnelles changent de look
Par Vincent Marcus et Louis Maurin
La nomenclature des professions et catégories
socioprofessionnelles (1) de l'Insee offre une vision ordonnée de la
société française centrée sur la profession des individus. Créées en 1954 et
modifiées en 1982, les CSP ont vieilli. Depuis près de vingt ans, la société
française s'est nettement transformée sous l'effet du progrès technique, de
l'évolution des modes de vie, mais aussi du chômage. L'Insee s'apprête donc à
revoir les catégories. Le travail réalisé, dont nous présentons les premiers
résultats, prend surtout en compte les évolutions des métiers. De nouvelles
appellations, comme les télévendeurs, vont venir affiner la nomenclature. Une
véritable remise à plat a été écartée compte tenu des travaux d'harmonisation
des nomenclatures en cours au niveau européen.
1. Une représentation de la société
La classification en catégories socioprofessionnelles
cherche à rassembler les individus qui composent une société en groupes
cohérents, pour mieux comprendre comment se structure cette société et de
quelle façon elle évolue. L'objectif est de définir des critères universels de
description du social, qui se démarquent des discours fondés sur des
expériences personnelles ou sur des analyses relayées par tel ou tel groupe
social, du « Café du commerce » à la publicité, en passant par le
journal télévisé.
Le classement de l'Insee n'en demeure pas moins une
construction qui repose sur des critères subjectifs et qui reflète une
représentation toujours contestable des divisions de la société. Reste que le
statut professionnel est un des éléments majeurs de différenciation sociale
dans nos sociétés issues de la révolution industrielle, à la différence de ce
qui prévaut dans les sociétés d'ordres (comme la France du Moyen Age, qui se
découpait en noblesse, clergé et tiers état) ou de castes (l'Inde, par
exemple). La pertinence du critère professionnel comme base de classement des
individus n'est d'ailleurs guère contestée, même si notre société est également
structurée par beaucoup d'autres différenciations : sexe, âge et habitat
notamment.
Les CSP, sous leur forme actuelle, ont été élaborées par
l'Insee dans les années 50 et utilisées pour la première fois à l'occasion
du recensement de 1954. Comme le notent Alain Desrosières
et Laurent Thévenot (voir « Pour en savoir plus »), on peut voir dans
les corporations de métiers de l'Ancien Régime le début d'une structuration de
l'univers des professions au sein du tiers état. Par la suite, la distinction maître-compagnon évolue lentement vers l'opposition patron-salarié, un salariat qui s'étend au fil du
XIXe siècle avec la révolution industrielle.
Des années 30 aux années 50, l'instauration
de grilles standardisées d'emplois et de niveaux de qualifications viendront préciser encore la nomenclature. En effet, à la
suite des accords de Matignon en 1936, patrons et syndicats établissent
conjointement un ensemble hiérarchisé de dénominations d'emplois et de niveaux
de qualifications correspondants. Sur le modèle précurseur de l'industrie
métallurgique (dès les années 20), on distingue alors l'ouvrier qualifié,
l'ouvrier spécialisé et le manoeuvre. A la Libération, ces hiérarchies
ouvrières seront généralisées à toutes les branches de l'industrie par
Alexandre Parodi, ministre du Travail de l'époque. De
même, la catégorie employés, confondant jusqu'alors
ingénieurs et employés de bureau, se différencie avec l'émergence du groupe
social des cadres à partir de 1936 (2)
Que fait-on de ceux qui ne travaillent pas ? Les
chômeurs (à l'exception de ceux qui n'ont jamais travaillé) restent classés en
fonction de l'emploi qu'ils ont occupé auparavant, selon une logique issue
d'une période où le chômage n'était qu'un état transitoire. Une pratique qui
devient plus contestable en période de chômage de masse. Tous les autres, soit
21,5 millions de personnes sur 47,5 millions de 15 ans et plus,
sont considérés comme inactifs (appellation discutable) : il s'agit
essentiellement des retraités, des étudiants et des femmes au foyer. Alors que
les retraités sont subdivisés selon leur profession passée, les femmes au
foyer, quel que soit leur âge, sont rangées dans la catégorie « inactifs
divers », qui comprend pas moins de onze millions de personnes.
Les grands regroupements ont été constitués de manière
à rendre compte des divisions du social qui se sont successivement ajoutées au
cours des deux derniers siècles. La longue opposition des villes et des
campagnes a ainsi justifié un classement à part des travailleurs des champs,
qu'ils soient propriétaires, métayers ou salariés (les salariés agricoles n'ont
été intégrés aux ouvriers qu'en 1982). Second critère : l'opposition patron-salarié, qui conduit à opposer les artisans,
commerçants et chefs d'entreprise, d'un côté, aux catégories restantes, toutes
salariées, de l'autre. Avec l'essor du salariat, le développement de fortes
différenciations a conduit à distinguer ouvriers, employés, professions
intermédiaires et cadres supérieurs. Une division selon la qualification et le
revenu, mais qui oppose aussi métiers de l'industrie et du tertiaire pour les
moins qualifiés (ouvriers et employés). Enfin, les professions libérales (340 000 personnes)
sont classées avec les cadres supérieurs, selon un critère de niveau de
diplôme. Au niveau le plus fin, ces catégories sont subdivisées en
444 types d'activités selon un code des métiers.
La diversité des critères à la base des CSP traduit
une volonté de prendre en compte la complexité de notre société, où la
diversification, à la fois des ressources (le rôle accru du diplôme notamment)
et des modes de vie, ne permet pas toujours de ranger les individus dans un
ordre simple. Les CSP se distinguent ainsi de l'analyse marxiste traditionnelle
en termes de classes sociales, fondée sur le rapport à la propriété. Mais elles
ne sont pas à l'abri de critiques : les critères retenus pour regrouper
les individus sont parfois contestables et conduisent dans certains cas à
constituer des catégories hétérogènes au regard d'autres critères. Au sein des
cadres supérieurs, on trouve à la fois des professeurs de collège et des
directeurs financiers de multinationales : si leur niveau de diplôme
peuvent se ressembler, il en est tout autrement de leurs revenus et de leurs
modes de vie. Même constat pour les artisans, regroupés avec les PDG de grandes
entreprises industrielles.
Ceci dit, rien n'empêche d'utiliser les CSP détaillées
pour se construire sa propre grille. Comme le note François Héran,
directeur de l'Ined (3), ces catégories sont
« à géométrie variable ». Une étude sur la répartition du patrimoine
ou le recours à l'enseignement privé trouvera ainsi plus de pertinence à
considérer ensemble patrons et professions libérales, pourtant séparés, et à
distinguer ces dernières des cadres supérieurs. Dans la pratique, de tels
regroupements sont trop rarement réalisés.
2. Une rénovation indispensable
La nomenclature des CSP doit évoluer pour rendre
compte des transformations de la société qu'elle est censée décrire. La
dernière révision date de 1982. L'Insee a décidé d'effectuer un travail de
rénovation qui doit s'achever courant 2000, les changements devant être
opérationnels pour 2001. Une révision à l'échelle européenne étant en cours,
les grandes catégories ne seront pas touchées.
Comme le note Jean-David Fermanian,
l'un des responsables du dossier à l'Insee, l'esprit du travail actuel est très
différent de celui de la grande refonte de 1982. Les deux niveaux les plus
agrégés de la nomenclature ne doivent pas être modifiés. L'objectif est surtout
de remédier à « l'inadaptation de l'actuelle nomenclature face à
l'évolution des différents secteurs d'activité (notamment de l'informatique et
des télécommunications) » et de parvenir à « une meilleure
description des métiers ».
Concrètement, les changements qui sont proposés
reviennent à modifier les limites de rubriques existantes, à en créer de
nouvelles et à mettre à jour la liste des libellés de métiers. Au total, plus de
cent nouvelles rubriques fines ont été ajoutées. Elles donnent une idée de
l'évolution qualitative de l'emploi en France, liée notamment aux effets du
progrès technique, mais aussi aux transformations des modes de vie. En
particulier, l'essor du tertiaire demande plus de précision dans la description
des postes de ce secteur. Les télévendeurs, les cadres des marchés financiers
et les spécialistes de la formation vont faire leur apparition. Pour les cadres
administratifs et commerciaux, on distinguera plus précisément les cadres
spécialistes de la formation, les cadres chargés des fonctions juridiques, les
cadres spécialisés dans les interventions sur les marchés financiers et les
cadres spécialisés dans le domaine immobilier. Enfin, devant l'importance croissante
des services aux personnes âgées et de garde d'enfants, on a distingué, au sein
des personnels des services directs aux particuliers, une rubrique intervention
sociale et aide domestique, scindée en assistantes maternelles, aides à
domicile (principalement pour les personnes âgées) et femmes de ménage.
Deux bouleversements de plus grande ampleur ont été
évoqués, mais ne devraient pas voir le jour. L'une des grandes critiques de la
nomenclature actuelle est adressée au vaste groupe des employés, qui recouvre
deux réalités assez différentes, comme l'a souvent noté Alain Chenu (4),
sociologue spécialiste de la question. Cette catégorie rassemble à la fois des
personnes disposant d'un bon capital scolaire, d'une position sociale bien
assise et de revenus moyens (les employés administratifs) proches dans la
pratique de l'univers des classes moyennes. Mais on y trouve aussi des
personnes faiblement rémunérées, en position précaire, avec une faible
qualification professionnelle (les employés de commerce et les personnels des
services directs aux particuliers), qui appartiennent à l'univers des salariés
les plus défavorisés. Ainsi, il paraîtrait logique de ne pas classer ensemble,
d'une part, les policiers et militaires et, d'autre part, les vigiles et agents
privés de sécurité et de surveillance, même s'ils jouent parfois le même rôle,
leur statut social (sécurité de l'emploi, diplômes et revenus notamment) étant
assez éloigné.
Le classement des professeurs des écoles (corps créé
au début des années 90, appelé à se substituer progressivement aux
instituteurs) pose lui aussi problème. Ses membres (catégorie A de la
fonction publique) sont titulaires d'une licence, ce qui justifierait de les
mettre avec les cadres et professions intellectuelles supérieures. Mais peut-on
les classer différemment des instituteurs - jusque-là parmi les
professions intermédiaires -, alors qu'ils exercent la même profession et
qu'ils appartiennent au même univers social ? Cet exemple illustre tout
l'arbitraire des classements sociaux. L'Insee, pour l'instant, a privilégié le
critère de la profession exercée à celui du diplôme : les professeurs des
écoles ne seront pas séparés des instituteurs.
3. Les CSP servent-elles à quelque chose ?
L'exemple des employés et des instituteurs montre que
le lifting de détail des CSP ne permet pas de coller de façon totalement
satisfaisante à la réalité de la société française. Pour preuve, l'Insee a dans
ses cartons (5) un projet de refonte plus vaste (voir tableau ci-contre).
Il s'agirait d'élaborer un découpage en onze postes, offrant une plus grande
finesse d'analyse et un pouvoir discriminant accru, tout en restant maniable.
Les catégories employés et ouvriers seraient scindées en deux. Les chefs
d'entreprise de plus de dix salariés seraient regroupés avec les professions
libérales supérieures, proches en termes de hiérarchie sociale et de revenus.
Enfin, le groupe des enseignants, qui, quel que soit le niveau de diplôme,
présente un certain nombre de traits caractéristiques (capital culturel élevé
et statut de l'emploi notamment), serait distingué.
Ce projet n'a pas été adopté : tout reste
subordonné officiellement aux discussions sur l'harmonisation des nomenclatures
européennes. Les pays travaillent au sein d'Eurostat
(l'office statistique de la Communauté européenne) non à une nomenclature
unique, mais à un système qui puisse faciliter le passage entre des variantes
nationales. Lourd travail en perspective, compte tenu des divergences qui
persistent. La nomenclature allemande, par exemple, paraît particulièrement
obsolète : l'annuaire statistique allemand « livre une image tout à
fait nivelée et monolithique de la réalité sociale (…) et n'a guère plus
d'attrait pour une lecture sociologique que l'annuaire téléphonique »,
estime le sociologue d'origine allemande Franz Schultheis (6).
Les principaux projets qui servent de base aux travaux
actuels sont français et britannique. L'équivalent de l'Insee outre-Manche a
présenté, en 1998, une nomenclature inspirée de la classification du class-schema (littéralement le « schéma de
classe ») du sociologue anglais John Goldthorpe (7).
Les deux projets ne sont pas si éloignés et devraient pouvoir être rapprochés,
même si les Britanniques ne distinguent pas public et privé, opèrent une
division plus nette entre travailleurs manuels et non manuels et ont opté pour
une présentation plus clairement hiérarchisée des groupes sociaux.
Au-delà des modifications, la question de la
pertinence même des catégories sociales reste posée. Les CSP sont-elles encore
un bon critère de distinction ? Elles restent tributaires des clivages
issus des Trente Glorieuses et méconnaissent les nouvelles différenciations à
l'oeuvre aujourd'hui, comme celle qui oppose les inclus, regroupés dans une
large classe moyenne, et les exclus, aux situations précaires. En outre, le
chômage de très longue durée tout comme les parcours d'insertion de jeunes sans
qualification sont des situations où l'identité professionnelle devient très
incertaine. Pour autant, ces personnes sont le plus souvent à la recherche d'un
emploi et, de ce fait, appartiennent bien à la population active. Il
conviendrait de pouvoir les distinguer clairement.
Pourtant, il n'est pas certain que la précarité
suffise à créer en soi une catégorie sociale homogène : « La
fragilité juridique du contrat de travail doit rester une variable
supplémentaire », estime François Héran. Si on
la sépare en tant que telle, il sera impossible de faire apparaître les liens
entre appartenance à un groupe social et précarité, qui frappe certes d'abord
les moins qualifiés, mais à des degrés divers dans différents groupes sociaux.
La remarque est valable pour bien d'autres éléments de la différenciation
sociale, qui n'apparaissent pas au sein des CSP, mais qui découpent aussi la
société et les pratiques sociales : le revenu ou le diplôme, évidemment,
mais aussi l'appartenance ethnique, la localisation géographique, l'âge ou le
patrimoine notamment. Isoler des groupes à partir de ces seules variables
reviendrait à tuer la nomenclature elle-même et, finalement, l'idée même
d'univers sociaux homogènes. C'est l'interaction entre les groupes sociaux et
ces variables qu'il s'agit de mettre en lumière pour décrire le paysage social.
Les CSP sont l'objet d'une critique plus radicale.
Pour une sociologie que l'on peut qualifier de postmoderne, notre société est
de moins en moins structurée et divisée en groupes sociaux. Michel Maffesoli voit ainsi venir le « temps des
tribus » (8), des groupes qui rassemblent les individus à travers des
réseaux qui se forment par affinités et expériences individuelles. Les forums
sur Internet forment l'archétype de ces réseaux. Dans cette perspective,
l'affaiblissement des normes collectives et des contraintes du groupe
aboutirait à une société d'individus atomisés : les CSP n'auraient plus
beaucoup de sens. Cette société postmoderne se caractériserait par une immense
couche moyenne salariée - au point que cette dénomination perdrait toute
signification : plus personne n'est moyen si tout le monde l'est…
Pourtant, force est de constater que les clivages
sociaux persistent. Certaines pratiques se sont partiellement unifiées
(l'automobile, les vêtements ou l'équipement du logement, par exemple), mais
d'une façon très superficielle. Les modes de vie (type de logement, loisirs,
etc.) ou l'accès aux filières d'excellence du système scolaire demeurent, par
exemple, profondément différenciés selon les groupes sociaux. « C'est
toute la force de la nomenclature des CSP de pouvoir le montrer, estime Louis Chauvel, sociologue et maître de conférence à l'Institut
d'études politiques. Il reste que l'on gagne toujours à compléter cet outil par
d'autres informations qui permettent de voir les hiérarchies invisibles au sein
des CSP. »
(1) Le sigle officiel est PCS, pour professions et
catégories socioprofessionnelles, mais il reste moins employé que l'ancien
sigle CSP des catégories socioprofessionnelles.
(2) Voir Les cadres, la formation d'un groupe social,
par Luc Boltanski, éd. de Minuit, 1982.
(3) Voir Les indicateurs sociopolitiques aujourd'hui,
par Elisabeth Dupoirier et Jean-Luc Parodi (dir.), éd. L'Harmattan,
1997.
(4) Auteur notamment des Employés, coll. Repères, éd.
La Découverte, 1994.
(5) Evaluation de la pertinence des CSP, rapport de
l'Inspection générale, Insee, par Hedda Faucheux et
Guy Neyret, mars 1999.
(6) « L'identité dans les comparaisons
internationales : une imposition de catégories administratives », in
Regards sociologiques No 16, 1998.
(7) Le class-schema de Goldthorpe distingue au niveau agrégé les cols blancs
(cadres, travailleurs non manuels), la petite bourgeoisie (petits
propriétaires, artisans, etc.), les agriculteurs et les travailleurs manuels
(divisés en qualifiés et non qualifiés).
(8) Voir Le temps des tribus, éd. Le Livre de Poche,
1988.